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L’honneur n’étant pas touché, il était facile de s’entendre.

Eh bien, sur la question de conduite et de tactique, je vous déclare que je crois, et que nous croyons tous ici, que vous raisonnez mal là-bas.

D’abord s’il n’y avait pas de préface (et j’examine ce cas), ce serait la chose la plus déplorable du monde et la plus ridicule pour moi de me présenter avant le procès, et pour effrayer le procès, comme pouvant (et par conséquent comme devant) venir en Belgique ; puis, si le Bonaparte n’est pas intimidé et fait le procès, de me retirer de l’affiche. Je serais l’épée de bois qui n’a pas fait peur et qu’on remet dans le fourreau. Toutes les raisons de tactique et de prudence politique, données après coup, n’atténueraient en rien l’immense ridicule qui en rejaillirait sur moi, et sur le parti républicain tout entier.

Ne l’oubliez pas, vous toujours si vaillant dans des luttes de cette nature, ce qu’on peut faire est subordonné à ce qu’on doit faire. Je ne peux pas aller devant la loi Faider, pourquoi ? parce que je ne le dois pas.

Si je n’ai pas cette raison-là, je n’en ai aucune.

Or, cette raison, je l’ai, je l’ai à tous les points de vue. Vous me l’avez écrit dix fois vous-même dans les termes les plus absolus.

Relisez la préface. Elle est sans réplique.

Subordonnons donc toutes les questions de tactique aux questions de devoir. C’est l’unique moyen de rester grands.

Mais parlons tactique, je le veux bien. Vous allez voir que la tactique est de mon avis.

Vous dites :

— Si vous ne faites pas de préface, si vous ne dites rien, le Bonaparte, sur la foi de votre lettre de l’an passé, dira : il va aller en Belgique, parler, faire un discours, scandale énorme en faveur du livre, grand éclat, étrivières oratoires sur mon dos à moi, Bonaparte, bah, laissons le livre en paix. Point de procès.

Voilà comment vous raisonnez ; je réponds :

— Pourquoi Bonaparte a-t-il fait la loi Faider ? Pour prendre les écrivains ses ennemis. Il rêve de nous ressaisir pour Cayenne. Ce serait là sa sécurité et sa volupté. S’il n’y a pas de préface aux Châtiments, si on laisse croire que je viendrai au procès, il dira : — Bon, faisons un procès, V. H. viendra, il essaiera de faire un discours et n’y parviendra pas (je vous ai démontré comment), on le fourrera en prison, et alors, si j’entre en Belgique, je le prendrai ; si je n’y entre pas, je serai sûr du moins qu’il se taira (on n’écrit pas librement en prison) et ne fera plus rien contre moi tant qu’il sera sous clef. Vite , puisqu’il doit venir, faisons le procès.

S’il y a, au contraire, une préface annonçant que je ne viendrai pas (et en donnant les raisons, toutes puisées dans le devoir), le Bonaparte n’a plus