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1822.


JANVIER-MARS.




Vendredi soir, 4 janvier.

J’aurais bien fait de te quitter avant-hier soir à la porte de chez toi, je n’aurais pas eu cette discussion qui aurait dû t’être indifférente au moins, et qui m’a pourtant valu un si froid adieu. Car je ne puis l’attribuer, cet adieu glacé, qu’à la conversation qui venait de s’engager. Nous étions si bien d’accord une heure auparavant ! Que ne t’ai-je quittée alors ! je serais rentré le cœur content, et maintenant encore mille pensées amères ne se mêleraient pas au plaisir de t’écrire. Il me semble que je n’ai rien dit dans cette discussion qui ait pu te mécontenter. Mes paroles n’étaient certainement pas des paroles de médisance ou d’envie et je ne comprends pas comment je t’ai déplu en prenant la défense du seul homme en France qui mérite l’enthousiasme[1]. Si jamais j’étais destiné à parcourir une carrière illustre, après ton approbation, ma bien-aimée Adèle, l’admiration des esprits neufs et des âmes jeunes serait, ce me semble, ma plus belle récompense. Laissons cela.

Il est pourtant vrai de dire que j’ai rarement le bonheur de te voir de mon avis. Quelque opinion que j’avance, si je trouve devant toi des contradicteurs (et il est bizarre que cela ne m’arrive guère que devant toi), tu es bien plus prompte à te ranger de leur côté que du mien. Il semble qu’il suffit qu’une vérité passe par ma bouche, pour être une erreur à tes yeux. Je n’adopte jamais une opinion qu’après m’être demandé si elle est noble et généreuse, c’est-à-dire digne d’un homme qui t’aime. Eh bien, que j’émette cette opinion, qu’elle blesse les idées de quelque autre personne présente, qu’elle soit combattue, je cherche alors naturellement à m’assurer de ton approba-

  1. Il s’agit de Chateaubriand, pour lequel Victor professait une ardente admiration.