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Lundi (24 décembre).

Je ne t’aurais pas promis, chère Adèle, de ne point travailler hier soir que cela m’eût été impossible. Comment, encore tout enivré de cette charmante soirée passée à tes côtés, livrer ma tête et mes idées à un travail qui me serait insipide, si je ne pensais que ce n’est qu’en travaillant que je puis me créer une existence digne de t’être offerte. Je suis rentré transporté, quel bonheur sera le mien ! Je me suis couché parce que j’ai pensé que tu te couchais en ce même moment, longtemps j’ai repassé dans mon esprit les moindres circonstances de ces instants si tranquilles, si courts et si regrettés, passés près de mon Adèle adorée ; longtemps ton souvenir bien-aimé m’a empêché de dormir, et, quand le sommeil est enfin venu, mille rêves de félicité m’ont encore rapporté ton image rayonnante de charme et de douceur.

Chère amie ! que ne peux-tu voir mon cœur à nu pour y retrouver ta pensée qui domine sans cesse toutes mes autres pensées. Oh ! combien je t’aime et en quelles expressions de feu te l’exprimer ! Je veux te dire mille fois que je t’aime, je veux que tu me le dises mille fois. Voilà tout mon bonheur. Quelle langue de génie et d’amour me donnera des mots pour rendre tout ce que je sens pour toi ! Tu es si bonne, si noble, si généreuse ! Toutes tes vertus sont si doucement empreintes sur ton visage que je m’étonne que tous les hommes qui te voient ne soient pas fous de toi. Mais ils ont la vue si basse, le jugement si faible, l’esprit si commun ! Oui, mon Adèle, chacune des grâces de ta figure révèle une des perfections de ton âme. Tu es pour ton Victor un ange, une fée, une muse, un être qui n’a d’humain que ce qu’il en faut pour rester à la portée d’un être terrestre et matériel tel que celui dont tu daignes partager le sort et la vie. Ne souris pas, chère amie, de ces paroles d’enthousiasme. Quelle créature au monde est plus digne que toi de l’exciter ? Oh ! que ne te vois-tu telle que tu es, telle que te voit celui dont tu seras éternellement la compagne adorée ! L’immortalité de mon âme ne me semblerait qu’un grand et triste désert si je ne devais le traverser entre tes bras. Oui, mon Adèle, c’est dans tes bras que je vivrai, dans tes bras que je mourrai, dans tes bras que je parcourrai l’éternité. Je m’arrête. Laisse-moi me reposer sur ces idées de bonheur. Un autre jour, je penserai au travail et à la gloire.