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Il n’y a rien de dégradant dans mes défauts, tout nombreux qu’ils sont, et si je sais que je suis plein d’imperfections, je sais aussi que tu es pleine de bonté.

Je ne t’ai point entretenue, chère Adèle, dans ma dernière lettre d’une affaire sur laquelle tu m’avais avec raison demandé des explications. Je voulais réfléchir avant de te reparler d’un misérable (car il faut se servir de cette douloureuse expression) sur lequel désormais je garderai le silence. Plus tard je te dirai tout cela, en attendant je souffrirai seul. Tu crains que je ne l’aie jugé avec sévérité. C’est le dernier homme, ma noble amie, que je voudrais juger sévèrement. Je lui avais tout pardonné jusqu’à ce dernier tort, sur lequel je suis implacable, parce qu’il te concerne indirectement et aurait pu te toucher directement. Assez là-dessus.

Je balance depuis quelques instants à te faire une confession, et j’ai tort de balancer, car ce que j’ai fait me pèsera sur le cœur tant que tu ne me l’auras pas remis. Adèle, pardonne-moi, car j’ai encore enfreint la promesse que je t’avais faite et réitérée. J’ai travaillé cette semaine plusieurs nuits consécutives, mais il le fallait et tu te rappelles que je me suis réservé quelques cas extraordinaires. Je t’ai donc désobéi en me promettant de m’en accuser près de toi. C’est pour toi, Adèle, que je travaille. Ce n’est qu’à force de fatigues et de veilles que je puis espérer de t’obtenir. Ne me condamne donc pas et sois sûre que je ce me résigne pas à manquer à tes ordres sans une nécessité absolue et impérieuse. Il s’agissait d’une chose très importante et très pressée. — J’ai tort de parler de tes ordres, tes moindres désirs, tes dernières prières en sont pour moi et suffisent pour me tracer une voie dont je ne m’écarte jamais que bien à regret. Je m’aperçois que le temps et le papier vont bientôt me manquer, et cependant que de choses j’ai encore à te dire ! Je te parle si rarement, je te vois si peu ! Chère amie, combien je suis à plaindre et qu’ils sont heureux ceux qui peuvent à toute heure jouir de ta vue, de ton sourire, de tes paroles ! Moi, je suis comme un exilé. Quand je vais chez toi, tout me gêne, tout m’observe. Il faut me contraindre, me dissimuler. Et nul être ne porte plus difficilement que moi un masque ou une entrave. Oh ! quand tout cela sera-t-il fini ? Quand pourrai-je atteindre à l’unique et immense bonheur que me promet l’avenir ? Pardonne à cette lettre écrite si rapidement, au désordre de mes idées, à celui de mon écriture.

Chère et charmante amie, je te verrai donc ce soir ! Oh ! que j’en ai besoin ! Que les semaines sont longues et quel fardeau de tristesse et d’abattement je soulèverai ce soir en entrant chez toi. Adieu. Je t’embrasse bien tendrement. Soigne ta précieuse santé. Parle-m’en bien au long. Tu dois tous ces détails à ton Victor, à ton mari. Adieu, adieu. Écris-moi une longue, bien longue lettre.