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la délicatesse de l’amour impérieux que tu es si digne de faire naître. Ma jalousie est extrême, mais elle est respectueuse, je crois qu’elle m’honore, parce qu’elle prouve la pureté de ma tendresse. Si jamais ma femme me rendait jaloux par légèreté, j’en mourrais, mais je ne la soupçonnerais pas un seul instant.

Je t’ai parlé longuement de toutes mes idées là-dessus, parce que cette matière est importante. Ma jalousie, chère Adèle, doit te plaire, si elle t’effraie, tu ne m’aimes pas. Si tu me rencontrais, moi qui suis un homme, donnant le bras à une jeune fille, à une femme quelconque, cela te serait-il indifférent ? Réfléchis, car si cela t’est indifférent, je suis perdu, tu ne m’aimes pas. Voilà mes sentiments invariables. L’amour n’est ni vrai, ni pur, s’il n’est jaloux. Crois que ceux qui aiment toutes les femmes ne sont jaloux d’aucune. Chère et bien-aimée Adèle, tu m’as dit que tu m’aimais, et jusqu’à ce que tu me dises le contraire, je veux le croire ; je veux m’attacher à cette délicieuse conviction comme à la seule croyance qui m’enchaîne encore à la vie.

Adieu, il faut bien t’aimer pour avoir écrit les deux pages que j’achève. Chère amie, dors bien. À demain.


Samedi (22 décembre).

Je viens de relire ces deux pages. Je tremble qu’elles ne te semblent singulières, car cela me prouverait que tu ne me connais ni ne m’aimes. Adèle, chère amie ! oh non ! je veux croire que nos âmes s’entendent, n’est-il pas vrai ? Et alors, mon Adèle adorée, quel bonheur nous est réservé ! Va, ne soyons pas comme les autres hommes qui craignent de sentir ou d’exprimer ce qu’ils sentent. Soyons candides, nous qui sommes innocents et purs. Ne nous cachons mutuellement aucune de nos impressions, disons-nous toujours toutes nos pensées, afin de nous garantir l’un et l’autre des fausses interprétations qui détruisent si souvent la confiance et même l’affection.

Je t’ai vue quelquefois avec douleur, Adèle, reculer devant plusieurs de mes opinions, c’est que tu ne pénétrais pas ma pensée ou que tu t’exagérais le sens de mes paroles. J’ignore si tu m’estimes plus ou moins que je ne vaux, mais, de grâce, sois indulgente. J’entends au fond de moi je ne sais quelle voix qui me dit que je ne perdrais pas à être connu de toi tel que je suis. Ce témoignage de ma conscience m’est cher ; c’est, avec le peu d’affection que tu peux avoir pour moi, la seule consolation qui me reste.