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À Madame Victor Hugo, au Havre.


Paris, mardi 18 juillet 1843.

Bien m’en a pris, chère amie, de partir du Havre lundi dernier, car les billets en question étaient déjà en souffrance, et je n’ai pu avoir mon argent qu’avec une peine extrême. J’ai été obligé de retarder mon départ, et j’ai passé huit jours en démarches fort ennuyeuses. Enfin j’ai réussi et je puis partir, ce que je vais faire aujourd’hui même. — Je n’en pense pas moins avec une véritable tristesse à ces huit jours que j’aurais pu passer près de toi, mon Adèle vraiment aimée, au milieu de ma chère petite colonie du Havre, et que j’ai été obligé de donner à ces misérables six ou sept cents francs. Les petits déboires de la vie sont souvent en réalité de grands chagrins. Celui-là en est un.

J’ai été si heureux dans cette journée que j’ai passée au Havre ! si parfaitement et si pleinement heureux ! je vous voyais tous pleins de beauté, de vie, de joie et de santé. Je me sentais aimé dans ce milieu rayonnant. Tu étais, toi, parfaitement belle et tu as été bonne, douce et charmante pour moi. Je t’en remercie du fond du cœur.

J’ai vu Charlot presque tous les jours cette semaine. Je vais le voir encore tout à l’heure. Il est en ce moment au concours où il est allé le premier de sa classe, version latine. Je suis bien content de lui en ce moment.

Nous avons passé dimanche la journée ensemble chez Mme  de Villeneuve qui a été charmante et m’a parlé de toi dans les termes les plus affectueux et les plus sentis. C’était la fête de Maisons. Charles s’est fort amusé. Moi, au milieu de toute cette joie, j’étais triste. Je ne pouvais m’empêcher de comparer ce dimanche-là au précédent, et de me dire que l’autre était bien doux, bien heureux et bien complet. Dans un mois Charlot sera près de toi ; dans deux mois je serai avec vous. Je voudrais que ces deux mois fussent déjà écoulés. J’ai besoin de ce voyage pourtant. Adieu, mon Adèle chérie. Je t’écrirai bientôt où il faudra m’écrire[1].

  1. Bibliothèque Nationale.