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chambre, tes meubles bien choisis et bien arrangés, les dessins, les chinoiseries, les portraits, et ma jolie Didine fraîche et heureuse au milieu de toutes ces choses gracieuses et douces.

Je t’embrasse et je t’aime, mon enfant. Quelle joie le jour où je te reverrai ! Pense à moi, écris-moi. Tu as toujours, songes-y bien, la même place dans mon cœur et dans ma vie. Je t’embrasse encore[1].


Au Directeur des Archives Israélites[2].


Saint-Mandé , 11 juin 1843.

Vous m’avez mal compris, monsieur, et je le regrette vivement, car ce serait un vrai chagrin pour moi d’avoir affligé un homme comme vous, plein de mérite, de savoir et de caractère. Le poëte dramatique est historien et n’est pas plus maître de refaire l’histoire que l’humanité. Or, le treizième siècle est une époque crépusculaire ; il y a là d’épaisses ténèbres, peu de lumière, des violences, des crimes, des superstitions sans nombre, beaucoup de barbarie partout. Les juifs étaient barbares, les chrétiens l’étaient aussi ; les chrétiens étaient les oppresseurs, les juifs étaient les opprimés ; les juifs réagissaient. Que voulez-vous, monsieur ? C’est la loi de tout ressort comprimé et de tout peuple opprimé. Les juifs se vengeaient donc dans l’ombre, comme je vous le disais dans ma lettre ; fable ou histoire, la légende du petit enfant Saint-Werner le prouve. Maintenant, on en croyait plus qu’il n’y en avait ; la rumeur populaire grossissait les faits ; la haine inventait et calomniait, ce qu’elle fait toujours ; cela est possible, cela même est certain ; mais qu’y faire ? Il faut bien peindre les époques ressemblantes ; elles ont été superstitieuses, crédules, ignorantes, barbares ; il faut suivre leurs superstitions, leur crédulité, leur ignorance, leur barbarie ; le poëte n’y peut mais, il se contente de dire : c’est le treizième siècle, et l’avis doit suffire.

Cela veut-il dire qu’au temps où nous vivons, les juifs égorgent et mangent les petits enfants ? Eh ! monsieur, au temps où nous vivons, les juifs comme vous sont pleins de science et de lumière, et les chrétiens comme moi sont pleins d’estime et de considération pour les juifs comme vous.

Amnistiez donc les Burgraves, monsieur, et permettez-moi de vous serrer la main.

Victor Hugo[3].
  1. Archives de la famille de Victor Hugo.
  2. À propos du drame les Burgraves, où il est question d’un enfant qu’auraient enlevé les juifs pour l’égorger dans leur sabbat. Acte II. — Lettre publiée en partie dans les Archives Israélites de France, n° 6 de juin 1843.
  3. Archives de la famille de Victor Hugo.