Garde surtout la candeur et la bonté de l’âme, le respect de Dieu et de ta mère, la simplicité de l’esprit et le désir perpétuel de bien faire ; c’est ainsi que tu pourras, comme ta mère, avoir un jour tout à la fois la vertu de la femme et l’innocence de l’enfant.
J’ai traversé pour venir jusqu’ici de bien beaux paysages verts et fleuris qui me parlaient de Dieu ; moi je leur parlais de toi, je leur parlais de vous tous, mes bien-aimés qui êtes là-bas.
Embrasse pour moi tous ceux que j’aime autour de toi, en commençant par ta mère.
3 septembre, 9 heures du soir [1837].
J’ai passé Dunkerque, j’ai passé Calais, j’ai passé Boulogne-sur-Mer, ma Didine bien-aimée, et j’ai déjà relu bien des fois tes deux gentilles petites lettres, ainsi que celles de tes frères et de ta bonne mère, si aimée et si digne de l’être. Ton grand-père aussi m’a écrit de bien charmantes lignes. Embrasse-le bien pour cela, et n’oublie pas ma Juju[2]. Je viens de me promener au bord de la mer en pensant à toi, mon pauvre petit ange. J’ai cueilli pour toi cette fleur dans la dune. C’est une pensée sauvage qu’a arrosée plus d’une fois l’écume de l’océan. Garde-la pour l’amour de ton petit père qui t’aime tant. J’ai déjà envoyé à ta mère une fleur des ruines, le coquelicot de Gand ; voici maintenant une fleur de la mer. Et puis, mon ange, j’ai tracé ton nom sur le sable : Didi. La vague de la haute mer l’effacera cette nuit, mais ce que rien n’effacera, c’est l’amour que ton père a pour toi. J’ai bien des fois songé à toi, chère enfant. À chaque belle ville que je voyais, je t’aurais voulue là, et ta mère, et tes frères, et ton grand-père aussi, pour nous expliquer tout. Tout le jour je regardais les églises et les peintures, et puis, le soir, je regardais le ciel, et je songeais encore à toi, ma Didine, en voyant cette belle constellation, ce beau chariot de Dieu, que je t’ai appris à distinguer parmi les étoiles.