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quatre heures, et enfin, ne voyant rien venir, j’ai signé. Une chose encore, tout à fait impérieuse, m’a déterminé. J’ai eu avis que mon sujet m’avait été dérobé, et que déjà deux Marion de Lorme, en prose, avaient été offertes à deux théâtres. (On m’assure à l’instant même que l’une de ces pièces a été lue au Théâtre-Français ces jours-ci.) Il n’y avait donc pas un moment à perdre. Le Théâtre-Français placé en interdit par l’affaire de la censure, votre procès avec les sociétaires, la presque certitude [avouée par Taylor lui-même et confirmée depuis par les démarches du Théâtre-Français pour avoir Mme Dorval[1]] que vous ne vouliez plus jouer, la nécessité dans tous les cas d’attendre un temps indéfini pendant lequel mon sujet me serait pris et ma pièce déflorée par d’autres théâtres, tout cela m’a décidé pour la Porte-Saint-Martin. J’apprends aujourd’hui que vous auriez pu me jouer. C’est un regret bien profond. J’apprends aussi que vous êtes assez bonne pour regretter un peu ce rôle où je vous voyais si belle. C’est presque une consolation. C’est une espérance que vous ne rejetterez pas le prochain rôle que je serai bien heureux de mettre à vos pieds. En attendant, madame, pardonnez-moi, si vous croyez qu’il y a quelque chose à me pardonner. Écrivez-moi un mot pour me dire que vous ne me gronderez pas trop fort et que vous me permettrez de travailler encore pour vous ; plaignez-moi surtout, et conservez-moi, en échange d’une admiration sans borne et d’un dévouement profond, quelque amitié.

Victor Hugo.


À Sainte-Beuve.


Ce 11 mars [1831].

Nous sommes à l’Odéon, cher ami ; vous y avez vos entrées, vous seriez mille fois aimable de venir nous y rejoindre.

À vous du fond de l’âme,

Victor[2].


À Sainte-Beuve.


Ce dimanche 13 [mars 1831].

Je ne vous ai pas vu hier soir, mon ami, et vraiment, ç’a été un chagrin. J’ai tant de choses à vous dire, tant de peines que vous me faites à vous conter, tant de prières à vous faire, mon ami, du plus profond de mon

  1. Mme Dorval personnifia l’héroïne romantique. Ses plus belles créations furent Adèle dans Antony, Marion de Lorme, Catarina dans Angelo (elle reprit le rôle de la Tisbe après Mlle Mars et y eut un grand succès), Kitty Bell dans Chatterton. Elle dut son engagement au Théâtre-Français à Victor Hugo qui lui témoigna toujours une affection sincère et dévouée.
  2. Archives Spoelberch de Lovenjoul.