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dans un siècle pour que tous les regards, même les plus perdus dans la foule, n’en admirent pas souvent la hauteur, n’en étudient pas constamment les proportions.

Pardonnez-moi, madame, de vous troubler dans votre affliction. Parmi toutes les voix importantes qui s’élèveront pour le glorifier et pour vous consoler, c’est bien peu de chose pour vous et pour lui qu’une voix de plus, qu’une voix obscure, qu’une voix de la foule. Mais j’avais besoin que quelque chose de ma douleur arrivât jusqu’à la vôtre. Et puis je ne suis pas de ceux qui prétendent à vous consoler, madame. Ce malheur nous est tellement propre à tous que j’aurais besoin moi-même de consolation.

Une chose cependant doit, non pas diminuer votre douleur, mais la calmer, s’il est possible, en l’agrandissant, c’est la pensée qu’en France, en Europe, dans le monde entier, tous les yeux ouverts à la lumière pleureront Benjamin Constant avec vous. Il laisse deux veuves, vous et la France.

J’ai l’honneur d’être, madame, avec un profond respect, votre très humble serviteur.

Victor Hugo[1]


À Madame la Duchesse d’Abrantès[2].

Vous me comblez, Madame. Les petites images sont charmantes, la statuette est charmante, la lettre est plus charmante encore. Vous écrivez comme vous parlez, une lettre de vous, c’est vous. C’est spirituel, c’est suprême, c’est bon.

J’avais donné ce chiffon de papier à mon père. Il m’est revenu dans sa succession. Permettez-moi de le mettre à vos pieds. C’est le manuscrit de l’Ode à la Colonne. À qui l’offrirais-je si ce n’est à vous ? Vous êtes une de nos duchesses militaires, et femme du premier ordre en outre, ce qui ne gâte rien. Soyez donc assez bonne pour garder ce griffonnage en souvenir de moi.

J’y joins votre Album, sur lequel je transcris une des strophes de l’Ode.

Maintenant il faut que vous soyez assez aimable pour venir dîner avec nous ainsi que messieurs vos fils, jeudi 19 décembre. Je vous ferai dîner avec l’excellente famille de Bernard de Rasmont qui vous aime et qui vous admire. Répondez-moi un bon oui pour tous les trois. — À six heures.

  1. Brouillon. Archives de la famille Victor Hugo.
  2. Inédite. Veuve du général Junot ; ses Mémoires sur la Révolution obtinrent du succès ; sa correspondance la montre très attachée à Victor Hugo et à sa famille ; le poète, à la mort de la duchesse, publia, dans les Rayons et les Ombres, des vers afin d’obtenir pour elle une sépulture convenable : À Laure, duchesse d’A.