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À Monsieur Adolphe de Saint-Valry.


Paris, 7 août 1830.

Merci, cher ami, de votre bonne et amicale lettre. Voilà comme il faut toujours nous écrire et toujours nous aimer. Entre vieux amis comme nous, on n’en est pas aux coquetteries, mais aux bonnes, solides et cordiales affections. Nous n’avons eu du reste qu’à nous louer de votre excellente mère. Elle m’a offert l’hospitalité chez elle, mais je n’ai pas dû accepter, et je n’ai pas accepté. Nous étions toute une maisonnée : trois enfants, deux domestiques, une femme prête à accoucher. Trop est trop, et raisonnablement nous ne pouvions descendre qu’à l’auberge. Et puis votre petite ville de Montfort-l’Amaury est si étrange que je ne sais pas en conscience (ceci entre nous et pour en rire), si je n’aurais pas un peu compromis votre bonne mère avec ma double réputation de libéral politique et de libéral littéraire. Savez-vous que ces braves gens en sont encore à la lune de miel royaliste de 1815, et que quand ils ont dit que M. un tel est libéral, ils ont dit leur plus grave injure et sont au bout de leur indignation ? Jugez ce qu’ils devaient penser de moi, — de moi qui venais interrompre brutalement leurs embrassades et leurs congratulations des ordonnances Polignac en leur disant : Paris a jeté bas les faiseurs de coup d’état. Plus de Polignac[1], plus même de Bourbon ! et ministère et dynastie, l’un coupable, l’autre aveugle, n’ont que ce qu’ils méritent ! — C’était tomber au milieu d’eux comme une bombe de Paris, comme un drapeau tricolore, comme un bonnet rouge. Je ne sais vraiment pas si je n’ai point dû avoir quelques craintes ; on m’avertissait dans l’oreille de ne pas parler, d’être prudent. C’était risible. Vous comprenez maintenant que si j’étais descendu chez votre mère, elle était perdue à tout jamais dans l’esprit de la petite bonne société monarchique de Montfort. Du moins, je n’ai compromis que l’auberge. Elle en perdra peut-être son enseigne de la Fleur de lys.

Nous voici maintenant de retour ici, mon cher ami, contents, mais inquiets ; du reste pensant à vous et vous aimant toujours, ayant foi à l’avenir et foi en vous.

Victor.
  1. Le prince de Polignac, ministre des Affaires étrangères sous Charles X, se rendit très impopulaire en contresignant les Ordonnances de Juillet 1830 ; il fut traduit devant la Cour des Pairs et condamné à la prison perpétuelle. L’amnistie de 1836 le libéra.