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vous qui m’aimez, de cette nouvelle ; car je repasserai à Paris en allant à Reims, et je vous embrasserai.

Je compte faire le voyage avec notre Nodier auquel je viens d’écrire. Vous nous manquerez !

Tous les honneurs, du reste, portent leur épine avec eux. Ce voyage me force de quitter pour quinze éternels jours cette Adèle que j’aime comme vous aimez votre Lydia, et il me semble que cette première séparation va me couper en deux. Vous me plaindrez, mon ami, car vous aimez comme moi.

Je suis ici, en attendant mon nouveau départ, dans la plus délicieuse ville qu’on puisse voir. Les rues et les maisons sont noires et laides, mais tout cela est jeté pour le plaisir des yeux sur les deux rives de cette belle Loire ; d’un côté un amphithéâtre de jardins et de ruines, de l’autre une plaine inondée de verdure. À chaque pas un souvenir.

La maison de mon père est en pierres de taille blanches, avec des contrevents verts comme ceux que rêvait J.-J. Rousseau ; elle est entre deux jardins charmants, au pied d’un coteau, entre l’arbre de Gaston et les clochers de Saint-Nicolas. L’un de ces clochers n’a point été achevé et tombe en ruine. Le temps le démolit avant que l’homme l’ait bâti.

Voilà tout ce que je vais quitter pour quinze jours, et mon vieux et excellent père et ma bien-aimée femme par-dessus tout. Mais je vous reverrai un instant, et il y a tant de consolations dans la vue d’un ami !

Adieu, cher Alfred, mille hommages à votre chère Lydia. Avez-vous terminé votre formidable Enfer[1] ? C’est une page de Dante, c’est un tableau de Michel-Ange, le triple génie.

Embrassez bien pour moi Émile [Deschamps], Soumet, Jules [Lefèvre], Guiraud et d’Hendicourt et tous nos amis, auxquels j’écrirai dès que j’aurai quelque loisir.

Victor.

Je suis encore ici pour trois semaines. Vous m’écrirez vite, n’est-ce pas ?

Mille respects de ma part à Madame votre mère.

  1. Alfred de Vigny dans Le Journal d’un poète donne le plan et quelques vers de L’Enfer qui n’a pas été terminé ; c’eût été une suite à Éloa.