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Jeudi, 8 mars[1].

Je me défie de moi-même, à présent que je ne suis plus certain de posséder ta confiance : aussi n’ai-je point osé te remettre aujourd’hui que je t’ai parlé un moment le papier que j’avais écrit pour toi. Peut-être aurai-je plus de courage une autre fois. Car il faut que tu le lises, il faut que tu saches que je ne suis pas un instant sans m’occuper de mon Adèle. Cependant tu n’y verras encore que beaucoup de divagation et peu de raison, parce qu’en t’écrivant j’étais poursuivi de l’idée, fausse à la vérité, qu’en ce moment-là même tu m’oubliais dans les plaisirs d’un bal. Et qui suis-je pour que tu songes à moi ? Voici ce qu’il me semble essentiel que tu saches : si tu m’aimes encore, je t’aime de mon côté comme je t’ai toujours aimée, et, quoique maintenant même on redouble d’efforts pour me détacher de toi, on n’y parviendra jamais. — Si tu ne m’aimes plus, si même tu en aimes un autre que moi, sois heureuse ; car je n’ai de droits sur toi que ceux que tu as bien voulu me donner. Sans doute celui que tu aimes alors est plus digne que moi, je te pardonne donc : mais je ne me consolerai jamais. Si nos deux destinées doivent ainsi être désunies, souviens-toi, quel que soit notre avenir à tous deux, que, dans toutes les situations possibles, tu trouveras toujours en moi un appui certain, un défenseur heureux de te servir. Si tu es heureuse, oublie-moi ; si tu es malheureuse, ne m’oublie pas. Adieu. Pourquoi ne profiterais-je pas des facilités que mes occupations me donnent de te voir pour te dire des choses nécessaires ? Si tu ne m’aimes plus, tu ne me répondras pas ; mais si tu m’aimes encore, tu me répondras[2]. Adieu, je t’embrasse, mon Adèle, car je me crois encore ton mari.

V.
  1. Inédite.
  2. Voici la réponse : « 14 mars. — Je t’écris à la hâte ce mot pour te tranquilliser, pour te dire que je t’aime toujours, pour t’engager à compter constamment sur moi. En écrivant, je trompe maman : cette idée m’est insupportable, tu vois à quel point tu as de l’ascendant sur moi. Tu es toujours mon ami, mon mari ; tout ce que je puis te dire, c’est d’avoir de la patience, d’être soumis aux volontés de ta mère, de tâcher de l’amener doucement, de travailler avec courage... Je travaille de mon côté beaucoup, je tâche d’avoir du talent, je voudrais être digne de toi. Adieu, j’ai peur d’être surprise. Adieu, Victor. »