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Monsieur le comte Jules de Rességuier, à Toulouse.
7 novembre 1821.
Monsieur le comte et bien cher confrère,

Je serais trop honteux pour oser encore vous écrire, si ma conscience n’était apaisée par tous les embarras qui m’ont jusqu’ici empêché de répondre à votre tendre et aimable lettre. Il faut me plaindre pour toutes les douleurs que j’ai éprouvées et tous les ennuis qui m’ont assailli. Pourquoi faut-il qu’après les grandes souffrances de l’âme viennent encore une foule de petits chagrins insipides, de mesquines contrariétés qui ne permettent même pas de se reposer dans le désespoir ? J’ai eu bien des dégoûts de ce genre, mon cher et excellent ami (permettez-moi de réclamer ce titre que vous m’avez donné et qui m’est bien précieux) ; j’ai passé par tous les degrés de cette grande échelle du malheur, et cependant jamais, dans les peines les plus vives comme dans les soucis les plus monotones, je n’ai songé sans une véritable douceur aux consolations de votre amitié, que je mérite si peu et à laquelle je tiens pourtant comme si je la méritais. Les peines domestiques, les affaires de famille tourmentent et aigrissent depuis six mois une plaie qui saignera longtemps. Vous, mon bien-aimé confrère, qui n’avez pas connu ma noble et admirable mère, vous ignorez tout ce que j’ai perdu, mais vous ne pouvez rien imaginer qui ne soit au-dessous de la vérité.

Je pense que vous ne m’en avez pas voulu un seul instant de ce long silence. Vous êtes si bon, votre indulgence est si délicate et si généreuse que je ne me serais pas justifié, si cette justification n’eût été un épanchement.

Je profite d’une occasion que m’offre notre cher A. Soumet pour vous faire passer avec cette lettre les trois volumes du Conservateur littéraire ; c’est un de mes exemplaires dont je vous prie d’excuser l’extérieur inculte. Je suis bien confus de la négligence qui vous a fait attendre si longtemps ces malheureux volumes. J’aurais fait cesser ce retard plus tôt, si j’étais bon à quelque chose ; mais je ne suis bon à rien, si ce n’est à vous aimer.

Vous avez sans doute fait de bien jolis vers que je ne connais pas ; si vous