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Mercredi, 9 heures et demie du soir (28 août).

Ange, c’est ta lettre qui me comble de joie, elle est bien courte cependant, mais c’est son seul tort. Oh ! que je suis heureux d’avoir pu te donner un heureux rêve, puisque tu daignes appeler heureux les rêves où tu me retrouves tel que je suis, fidèle et tendre ! Adèle, il est donc vrai que, cette nuit, tandis que je m’enivrais en songe de cette volupté imaginaire de te presser dans mes bras, ton cœur aussi palpitait en croyant battre sur le mien ? il est donc vrai que ta bouche adorée a cherché la mienne pendant que la mienne cherchait tes lèvres, hélas ! sans les trouver ? Dieu ! que ne donnerais-je pas de jours et d’avenir pour jouir dès à présent de cette félicité enivrante dont les rêves les plus brûlants ne retracent encore qu’une bien faible image !

Pardonne, ô pardonne, Adèle, à l’égarement de mes paroles, le ciel m’est témoin qu’aucune pensée impure ne se mêle à ces transports aussi chastes qu’ardents, et comment une pensée pourrait-elle se rapporter à toi sans être sanctifiée par son objet même ? Il t’est donné, être virginal et pur, de purifier jusqu’au désir. C’est du bonheur conjugal que mes doux songes m’entretiennent, c’est aussi peut-être de ce bonheur qu’ils parlent à ton âme si innocente et si naïve. Ô mon Adèle, je conserverai comme toi, sois-en sûre, jusqu’à la nuit enchanteresse de nos noces, mon heureuse ignorance. Je t’apporterai des caresses aussi neuves que celles que je serais si heureux de recevoir de toi. Je n’ose, mon Adèle adorée, me flatter d’une si grande douceur ; tu n’as jamais répondu à mes caresses, le plus souvent tu parais souffrir mes baisers, si néanmoins je pouvais croire un instant que ces preuves de mon amour t’importunent… Oh non ! je ne veux pas m’arrêter à cette idée ! Ma bien-aimée Adèle, n’est-ce pas que mes embrassements ne te sont point odieux ? Oh ! je t’en conjure, daigne, si tu m’aimes, répondre quelquefois à mes caresses, aux caresses de ton Victor, de ton amant, de ton mari. Car, Adèle, je dois être tout pour toi, et il n’y a aucun titre que je ne doive prendre près de toi. Oui, aime-moi, toi que j’aime comme on n’a jamais adoré la Divinité, et embrasse-moi, toi dont je baiserais la trace avec des transports de respect et d’amour.