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un moment égarer par l’idée d’être aimé de toi autant que tu es adorée de moi. Chère amie, tu m’as permis, tu m’as ordonné de le croire, mais je n’ose me flatter d’un tel bonheur. Tu vas me gronder encore peut-être… Oh ! gronde-moi, dis-moi, répète-moi que tu m’aimes comme je t’aime, tu sais bien, Adèle, que c’est par ces paroles que je vis, tu sais bien que toute mon existence dépend de la tienne, tu sais bien que tu as un jour tenu ma vie entre tes mains, ce jour où j’osai te dire que je t’aimais et où tu daignas me répondre…

Adèle, cette ravissante réponse a décidé de ma vie, de ma destinée, de mon éternité. Elle ne sortira de mon cœur que si tu l’en arraches ; car, Adèle, il dépend de toi seule de m’ôter le bien que tu m’as donné, ton amour. C’est te dire que ma vie est à ta discrétion. Fais de ton Victor ce que tu voudras pourvu que tu l’aimes. C’est la seule nécessité de son bonheur. Tout le reste n’est rien.

Aussi quand je te vois un moment froide ou mécontente, ma douce Adèle, je ne saurais te dire tout ce que j’éprouve de douloureux. Il me semble que je vis moins, que mon âme est mal à l’aise. Un mot tendre de toi me rend toute ma vie, et c’est ce qui m’est arrivé ce soir.

Adieu, j’ai emporté en te quittant ce qui m’a manqué hier, la consolation d’un doux adieu, je vais bien dormir, c’est-à-dire rêver délicieusement. Quel jour donc cessera mon veuvage ? Encore un long mois, et ce mois aura trente jours d’un siècle, et ces jours chacun vingt-quatre heures éternelles.

Adieu, mon Adèle adorée ; tu dors maintenant, il me semble te voir reposer, tes yeux charmants fermés, tes mains tant de fois couvertes de mes baisers, croisées sur ton sein bien-aimé, il me semble voir ton haleine si fraîche et si pure sortir par intervalles égaux de ta bouche sur laquelle je ne puis poser la mienne ! Ô Adèle, quand donc ?... Dans un mois, n’est-ce pas ?


Mardi 27 (août).

Je voulais d’abord ne t’écrire aujourd’hui qu’après mon travail, mais comme je veux que tu aies ces quatre immenses pages, je vais prendre mon bonheur avant tout. Adèle, si seulement tu avais à les lire un peu du plaisir que j’ai à les écrire, mon Adèle, que je serais heureux ! Cependant je ne dois pas te cacher que depuis quelques jours toutes mes émotions douces sont empoisonnées. Je ne viens presque pas chez toi que je ne te trouve souffrante. Hier encore, tu avais mal à la tête ; je suis bien vivement tourmenté par l’idée que ces douleurs dont tu te plains depuis quatre ou cinq