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Lundi, 9 heures du soir (5 août).

Chère amie, je viens de lire ta lettre, et je suis aussi heureux que ton Victor peut l’être loin de toi. Seulement c’est avec regret, avec un regret bien vif que je n’ai pas vu cette lettre sortir de ton sein. Il me semble que j’éprouve un double bonheur quand je puis baiser à la fois des caractères tracés par ta main et un papier qui a touché ton sein. Ne ris pas de mes folies, mais il me semble encore qu’une lettre près de laquelle a battu ton cœur a quelque chose de plus mystérieux et de plus tendre. — Oh ! que j’ai été heureux ce soir, mon ange adoré ! Il ne m’a manqué, Adèle, que de remarquer dans tes yeux une félicité égale à la mienne. Si j’avais pu croire que ces caresses avaient autant de douceur pour toi que pour moi, toute mon âme aurait été enivrée. Mais, mon Adèle bien-aimée, ne crois pas ton Victor assez ingrat pour t’accuser d’indifférence, je ne me plains que de ce sentiment de pudeur, si adorablement pardonnable, qui t’empêche de montrer à ton mari sa femme tout entière telle qu’elle devrait être pour lui. Heureusement le terme si désiré approche, et bientôt ton pauvre Victor n’aura plus besoin de t’écrire chaque soir qu’il t’embrasse. Adieu, j’ose encore t’embrasser, mon ange chéri, quoique dans ta lettre de ce soir tu me refuses ce bonheur.


Mardi.

Il est quatre heures et demie tout à l’heure, mon Adèle bien-aimée, et je n’ai que le temps de te répéter ma pensée de toute la journée, Je t’adore.

Adieu, je t’embrasse mille et mille fois.

Ton Victor.