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Dimanche, 9 heures et demie[1].

Peut-être vais-je mieux dormir cette nuit que la dernière. Hier, Adèle, je n’ai pu bien dormir sans que tu me l’eusses souhaité : mon sommeil dépend de ton adieu. Tu as été plus heureuse que moi. Je ne te fais pas ici un reproche, loin de moi de te blâmer d’une indifférence qui assure ton repos… — Cependant ce sont pour moi des pensées amères que celles-ci. Ne m’accuse pas, mon Adèle, puis-je penser à de l’indifférence de ta part sans une profonde douleur ? Oh ! dis-moi, oui, dis-moi, répète-moi que ce n’est pas de l’indifférence, mais... qu’est-ce donc alors ? — Tout, plutôt que de l’indifférence. Je veux bannir cette idée avant de me coucher, car ce serait vainement que je me flatterais d’avoir une meilleure nuit que celle d’hier que tu as si bien passée. Adèle, puisses-tu toujours bien dormir, quand même ce serait la nuit de ma mort ! — Mais non, tu m’aimes, tu m’aimes, n’est-ce pas, ange ? Je n’ai besoin que de cette conviction dans la vie, mais j’en ai tant besoin ! Mon Adèle, j’en veux croire tous tes regards, toutes tes paroles de ce soir, et la tendre inquiétude avec laquelle tu voulais me retenir à cause de la pluie, oh ! sois toujours ainsi, mon Adèle adorée, afin qu’il n’y ait pas au monde deux hommes aussi heureux que moi comme il n’y a pas deux femmes aussi parfaites que toi. Adieu pour ce soir, tu reposes déjà sûrement et tu ne te doutes pas que ton mari t’embrasse pendant que tu dors.


Lundi.

J’espérais, mon Adèle bien-aimée, t’écrire encore au moins deux pages et je n’ai que le temps de clore celle-ci par mille baisers.

Ton mari,Victor[2].
  1. Inédite.
  2. Collection Louis Barthou.