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Ce mardi matin.

Tu veux que je t’écrive avant tout, chère amie ! Tu comptes donc bien sur ma pauvre raison pour croire qu’après avoir goûté dès le matin du bonheur de t’écrire, je pourrai faire autre chose toute la journée. En t’écrivant dès à présent, je commence par où l’on devrait toujours finir, car ce bonheur serait la récompense de mon travail ce soir, tandis qu’il va me rendre au contraire le travail bien pénible tout à l’heure, par le contraste qui s’établira nécessairement en moi. Il faudra cependant avoir la force de m’arracher à toi, mon Adèle, pour je ne sais quelle insipide correspondance, et cet éternel roman. Quand donc seras-tu là, près de moi, pour donner du charme et de l’attrait à ces ennuyeuses occupations !

Pourtant, chère amie, quand j’y songe, je me demande s’il est bien vrai que j’aurai la force de m’y livrer quand tu vivras sans cesse avec moi. Il me semble qu’il me faudra un courage surnaturel pour ne point passer toutes mes journées dans tes bras ; il me semble que je ne pourrai m’empêcher d’employer tous mes instants à te caresser, à te couvrir de baisers et d’embrassements. Ange, dis-moi, comment veux-tu, quand je serai libre de jouir à toute heure de cette enivrante félicité, comment veux-tu que je me la refuse ? Ce sera toi, Adèle bien-aimée, qui me repousseras quand ce sera nécessaire, car jamais, non jamais, je ne remporterais une si triste victoire sur moi-même.

Il est vrai, chère amie, que le désir de te voir riche, heureuse, bien heureuse, est tout-puissant sur moi, et tu n’auras qu’à me le rappeler d’une seule parole pour que je me prive sur-le-champ de la plus douce des félicités. — Je veux garder un peu de celle de t’écrire pour ce soir. Ainsi, adieu pour l’instant, adieu, mon Adèle adorée, j’espère que tu as passé une bonne nuit et que tu vas m’écrire, en attendant que je puisse m’informer de tout cela, reçois de ton mari mille et mille baisers.


Cinq heures un quart de l’après-midi.

Chère amie, je viens de travailler et je vais attendre en t’écrivant le moment si heureux où je te verrai ; je t’avoue qu’en pensant que je suis encore séparé de toi par tout le temps qu’il faut pour remplir cette page et