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tout ce que j’espérais ? Non, chère amie, la satisfaction de t’avoir obéi est au-dessus d’une crainte purement personnelle. Dans quelques jours, tout sera décidé, et quoi qu’il m’arrive, je ne regretterai pas ce que j’ai fait puisque je t’aurai délivrée de l’incertitude dont tu es si tourmentée. Je ne te parlerai même pas des malheurs dont je pressens que cette lettre sera pour moi la cause. S’il ne m’était doux de te faire voir mon dévouement dans toute sa profondeur, si ce que je prévois arrive, j’aurai la consolation de penser que j’avais tout prévu et que je m’étais résigné à tout, sans te parler de rien, uniquement pour te donner une preuve de soumission et d’amour. Alors, si tu conserves encore quelque temps mon souvenir, peut-être ne sera-ce pas avec l’idée que ce Victor t’avait peu aimée, comme tu le lui reproches quelquefois. Toute mon ambition, mon Adèle adorée, est de te prouver mon dévouement ; c’est à cela que sera consacrée toute ma vie, qu’elle dure soixante ans ou qu’elle dure deux mois.

Je t’en conjure donc encore, ne t’inquiète pas ; les choses suivront maintenant leur ordre naturel, je viens de donner aux événements une impulsion dont je ne suis maintenant pas plus le maître que toi. D’ailleurs, dans toutes les chances, il s’en trouve certainement une de bonheur, j’ai dû ne te présenter que celle-là parce que, je te le redis encore, les autres ne peuvent tomber que sur moi. Il eût été lâche de t’en parler. Tu désirais, c’est la seule chose que j’aie considérée et je n’ai aucun mérite à avoir fait ce qui était strictement mon devoir. À présent, si tous mes rêves s’évanouissent, je n’aurai plus qu’à les suivre ; et il te restera à toi une grande réalité, c’est d’avoir inspiré un amour véritable, un amour profond et dévoué. Maintenant, ma bien-aimée Adèle, je puis parler ainsi d’une voix ferme et sérieuse, parce que l’heure est peut-être bien voisine où je confirmerai par les actions ce que tu n’as peut-être jusqu’ici considéré que comme des mots. Ce sera ma dernière joie.

Cependant tout peut encore tourner à bien. Ce ne serait pas la première fois depuis que je t’aime que mon bonheur aurait passé mes espérances. Enfin, cela est peu probable, mais n’est pas impossible. Chère amie, mon Adèle, pardonne-moi de reculer ainsi devant ce malheur après t’avoir pourtant osé dire que j’étais résigné ; c’est que mes espérances étaient si belles et si douces ! — Attendons.

Seulement pour que cette lettre ne se termine pas sans une plainte, je te dirai, chère Adèle, qu’il a été bien amer pour moi après avoir médité cette lettre pendant deux jours de la voir si singulièrement accueillie chez toi. Toi-même, mon amie, tu m’as presque reproché les formules apologétiques que ma position et tes intérêts comme les miens m’imposeraient quand même le respect dû à mon père ne me les dicterait pas. Tu m’as parlé de