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Dimanche (3 février)[1].

Je reviens de l’église où j’ai encore été trompé dans mon espérance de te voir. Le mauvais temps vous aura peut-être empêchés de sortir. C’est mal commencer ma semaine. Tu me dis, Adèle, de répondre bien long à une lettre qui ne demande pourtant pas une réponse longue, mais une réponse prompte. Cette jeune personne dont tu me parles[2] a eu le malheur de se faire artiste, cela suffirait pour ruiner sa réputation[3]. Il suffit qu’une femme appartienne au public sous un rapport, pour que le public croie qu’elle lui appartient sous tous. Comment d’ailleurs supposer qu’une jeune fille conserve une imagination chaste et par conséquent de mœurs pures après les études qu’exige la peinture, études pour lesquelles il faut d’abord abjurer la pudeur, cette première vertu de l’homme et de la femme. Ensuite convient-il à une femme de descendre dans la classe des artistes, classe dans laquelle se rangent comme elle les actrices et les danseuses ? Je t’expose ici des idées sévères, mais qui sont justes selon le monde et selon la morale. Ces idées d’ailleurs ne sont pas nées d’hier chez moi, il y a bien longtemps que je te les ai communiquées et l’exemple que tu as sous les yeux ne les confirme que trop. C’est pour cela que j’ai toujours applaudi à ta répugnance pour la peinture, même considérée comme talent d’agrément. Il y a eu de tout temps dans ton âme un dégoût virginal pour ces pernicieuses études. De ce que je dis ici ne conclus pas, Adèle, que selon moi une femme peintre

  1. Inédite.
  2. « ... L’on m’a dit que Mme Duvidal jouissait d’une très mauvaise réputation et l’on m’a conseillé de ne pas la voir parce que la mauvaise réputation d’une personne que l’on voit souvent influe sur la vôtre… J’aurais de la peine à la quitter dans un moment où elle pourrait croire que j’agis ainsi parce que je n’en ai plus besoin… Je te demande des conseils comme ceux que tu dois donner à ta femme. » (Reçue le samedi 2 février.)
  3. L’opinion de Victor Hugo se modifie rapidement, témoin la lettre qu’il adressa, deux ans plus tard, à Mlle Julie Duvidal qui devint, en décembre 1827, la femme d’Abel Hugo. Dans les craintes et les conseils de Victor, une large part doit être attribuée à l’éducation bourgeoise de sa prime enfance et dont il s’est vite dégagé, comme sa correspondance le prouve. Il s’y montre l’ami de David d’Angers, de Delacroix, de Célestin Nanteuil, de Louis Boulanger, et, toute sa vie, il a protégé, recommandé, aidé les artistes.