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Je ne t’ai pas dit, Adèle, tout ce que j’ai essuyé de combats de toutes parts, même du côté de ton père, à l’occasion de cette maudite ambassade. Bien des gens n’ont pas compris mon refus, parce que je ne pouvais leur en dire le véritable motif. Chère amie, il aurait fallu te quitter et j’aurais autant aimé mourir. Aller si loin de toi mener une vie brillante et dissipée eût été impossible pour moi. Je ne suis bon qu’à vivre aux genoux de mon Adèle. Je ne supporte les jours où je ne te vois pas que dans l’attente du jour où je te verrai. Quand il n’y a plus que des heures, je compte les minutes. C’est ce que je ferai demain toute la journée.

Hélas ! il y a pourtant trois longs jours que je ne t’ai vue ! C’est à d’ennuyeuses convenances qu’il faut sacrifier le seul bonheur dont je jouisse maintenant. Et demain quand je serai avec toi, il faudra observer tous mes mouvements, craindre de t’adresser une parole, un regard, moi pour qui tes paroles et tes regards sont tout.

Un jour, Adèle, nous demeurerons sous le même toit, dans la même chambre, tu dormiras dans mes bras, il me sera permis de ne vivre que pour toi, et nul n’aura le droit de jeter un œil jaloux et sévère sur notre félicité. Nos plaisirs seront nos devoirs et nos droits. Notre vie coulera doucement avec peu d’amis et beaucoup d’amour. Tous nos jours se ressembleront, c’est-à-dire seront heureux, et s’il nous survient des soucis et des contrariétés, nous les supporterons ensemble et tout sera léger. Cet avenir te sourit-il, mon Adèle adorée ? Pour moi, si je n’en avais l’espérance, je ne sais quel serait l’aliment de mon existence.

Adieu, écris-moi bien long. Oh ! que je t’aime !

Je t’embrasse avec tendresse et respect.