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À L’ASSEMBLÉE NATIONALE.


23 février 1850.

Pendant la séance, Lamartine est venu s’asseoir à côté de moi, à la place qu’occupe habituellement M. Arbey. Tout en causant, il jetait à demi-voix des sarcasmes aux orateurs.

Thiers parlait. — Petit drôle ! a murmuré Lamartine. Puis est venu Cavaignac. — Qu’en pensez-vous ? me dit Lamartine. Quant à moi, voici mon sentiment. Il est heureux, il est brave, il est loyal, il est disert, — et il est bête.

À Cavaignac succéda Emmanuel Arago. L’Assemblée était orageuse. — Celui-ci aussi est bête. Il a de trop petits bras pour les efforts qu’il fait. Il se jette volontiers dans les mêlées et ne sait plus comment s’en tirer. La tempête le tente et le tue.

Un moment après, Jules Favre monta à la tribune. — Je ne sais pas, me dit Lamartine, où ils voient un serpent dans cet homme-là. C’est un académicien de province.

Tout en riant, il prit une feuille de papier dans mon tiroir, me demanda une plume, demanda une prise de tabac à Savatier-Laroche, écrivit quelques lignes. Cela fait, il monta à la tribune et jeta à M. Thiers, qui venait d’attaquer son œuvre, la révolution de février, de graves et hautaines paroles. Puis il redescendit à notre banc, me serra la main pendant que la gauche applaudissait et que la droite s’indignait, et vida tranquillement dans sa tabatière la tabatière de Savatier-Laroche.




Juin 1850.

Dupin a un genre de mots particulier. C’est le mot gaulois où se mêlent l’esprit robin et l’esprit grivois.

Je ne sais quel membre de la majorité, au moment de voter le projet contre le suffrage universel, est monté à son fauteuil et lui a dit : — Vous êtes notre président et de plus un grand légiste. Vous en savez plus long que moi. Éclairez-moi. Je suis indécis. Est-il vrai — et le pensez-vous — que le projet de loi viole la Constitution ?