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aux lits, les matelas à cru, les jupes qui servaient de torchons, les torchons qui servaient de jupes, les vieux plumeaux dans les coins, les toiles d’araignées aux vitres, la crasse, la cendre, la poussière, la couleur qu’avaient les murs, l’odeur qu’avaient les meubles, cela faisait horreur, cela tenait de la taverne et de la caverne.

C’était un tas sordide, un groupe de Callot, une halte de bohémiens. Au milieu de ce bouge allait et venait le Casabianca, grand, maigre, pâle, grisonnant, avec son profil de mouton, ses gros yeux bleus, son air naïf, discret et rapace. Quand on sonnait, la porte s’entr’ouvrait, et laissait voir la figure farouche d’une grande fille noire qui refermait la porte et s’enfuyait. Si l’on persistait à sonner, la porte se rouvrait, et si l’on demandait M. de Casabianca, une vieille femme sèche, Mme  de Casabianca en personne, vous apparaissait et vous répondait : — M. de Casabianca ? on ne peut le voir. Il est en train de faire son grand discours.




III

M. MOLÉ.


Le passant qui, dans l’été de 1849, eût rencontré, vers deux heures après midi, sur le pont de la Concorde, une lourde berline bleue sans laquais, menée par un cocher en capote brune et traînée par deux grands vieux chevaux noirs, eût pu apercevoir, seul et rencogné dans l’angle à droite de cette voiture, un vieillard blême, ridé, à profil d’oiseau, affublé de conserves vertes garnies de taffetas. Un moment après, il eût pu voir cette berline s’arrêter devant la grille de l’Assemblée nationale, la portière s’ouvrir, et s’élancer lestement à terre une espèce de jeune homme en petite redingote noire et en chapeau gris, un stick à la main. Ce vieillard et ce jeune homme, c’était M. Molé.

En entrant à l’Assemblée, M. Molé ôtait ses besicles.




M. Guizot écoutant M. Molé parler à la tribune disait un jour : — Des arguments, mais pas d’idées, des raisons, mais pas d’éloquence. C’est un arbre qui a des branches et point de feuilles.

M. Guizot croyait définir M. Molé ; il définissait l’hiver.

Sec et froid, voilà en effet tout le cœur de cet homme d’État.