Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

DERNIÈRE SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE[1].


26 mai 1849.

Toutes les rumeurs de guerre civile s’en sont allées. Le principal intérêt de cette séance, la dernière de tant de séances rageuses et orageuses, ç’a été de voir disparaître le maréchal des logis Clément Thomas et poindre le sergent-major Boichot. La grâce des révolutions, qui avait fait du premier un constituant, fait un législateur du second. Clément Thomas s’est fait regretter le dernier jour. Il avait presque colleté un huissier ; il a trouvé moyen de s’expliquer sans s’abaisser et de tirer de cet incident quelques paroles nobles et émues qui ont fait éclater l’Assemblée en applaudissements.

Un beau ciel bleu, Mme  David d’Angers dans les tribunes, un discours d’adieu de M. Marrast où il y a des fautes de français et de bons sentiments, le ministère à l’état de fantôme comme l’Assemblée, deux ministres, M. Drouyn de Lhuys et M. Buffet, errant de banc en banc et cherchant des places qu’ils n’auront plus demain au banc officiel, autour de la tribune les derniers coassements des représentants expirants, aux fenêtres le chant des oiseaux, l’agonie dedans, le printemps dehors, tel a été ce dernier jour. La Constitution est née un jour de neige, la Constituante est morte un jour de soleil.

Quatre cent quatre-vingt-neuf représentants n’ont pas été réélus. Les deux camps ont été presque également maltraités par le suffrage universel. La droite a eu 246 non réélus, la gauche 243.

La séance s’est terminée par un cri de : Vive la République ! lâchement poussé par tout le monde. Peu ont gardé le silence, parmi eux Lucien Murat. M. Molé a crié.

Le préfet de police Rébillot me disait hier : — Jamais Paris n’a été plus tranquille. Pourtant la panique règne. On entend dégringoler les fonds et rouler les chaises de poste. M. de La Rochejaquelein a pris un passeport.

L’Assemblée a décidé qu’elle se tenait à la disposition des événements, debout jusqu’à la dernière minute, de peur de quelque tentative impériale. Les sections des sociétés secrètes sont en permanence ; complot qui surveille un complot. Ceci est toute la situation. Les partis se touchent et se mesurent

  1. L’Assemblée constituante s’est séparée le 26 mai et a été remplacée par l’Assemblée législative. (Note de l’éditeur.)