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— Soixante mille.

— Mais enfin sera-ce des barricades la nuit ? Sera-ce le massacre à domicile ? Sera-ce l’incendie ?

— Tout ce que je puis vous dire, c’est que Juin sera une farce.

Voilà au milieu de quelles anxiétés nous vivions.




XXII


26 avril 1849.

Il y a un an, M. Louis Blanc gouvernait la France, lui onzième, il entrait dans la salle des séances de la Chambre des pairs précédé des huissiers et du capitaine de la garde du Luxembourg l’épée nue, au milieu des applaudissements, des acclamations et des extases des six cents ouvriers qui siégeaient sur les bancs des législateurs ; dans les rues, dans les cours, des hommes lui baisaient les mains ; il s’asseyait dans la grande chaise de velours vert du chancelier, le fauteuil le plus élevé de France après le trône, et chaque mot qui tombait de sa bouche soulevait la foule et agitait l’Europe remise en question. Hier le nom de Louis Blanc, condamné contumace de la haute cour de Bourges, a été cloué en place publique par le bourreau sur le poteau du carcan.

Depuis quelques jours la situation redevient obscure, les faubourgs fermentent, les clubs électoraux font bouillir les masses, les fourmillements nocturnes recommencent porte Saint-Denis et porte Saint-Martin ; on fait beaucoup d’arrestations ; ce qui préoccupe les commissaires de police, c’est que tous les hommes arrêtés ont sur eux des armes cachées, poignards ou pistolets. On parle d’une émeute avant les élections. Ribeyrolles, de la Réforme, disait l’autre jour dans la tribune des journalistes : — Dans un mois, ce sera Caussidière qui fera juger Léon Faucher. — La querelle éclate dans la famille Bonaparte, les journaux publient une correspondance aigre-douce entre le cousin Louis et le cousin Napoléon. Celui-ci, le fils de Jérôme, qu’on avait envoyé comme ambassadeur à Madrid pour ne point l’avoir à Paris comme concurrent, vient de revenir brusquement. Il est arrivé cette nuit. Il avait demandé un congé qu’on ne lui envoyait pas.

Le conseil des ministres s’est assemblé cette nuit même, et ce matin un arrêté du président inséré au Moniteur révoque l’ambassadeur réputé démissionnaire. Napoléon Jérôme n’est pas endurant. Il a le masque de l’empereur, sinon le génie. Cela va faire une branche cadette. Déjà il appelait le prince Louis : mon cousin Beauharnais.