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toutes les révolutions qui dégagent lentement sa forme définitive, on distingue la pression de l’idéal, comme on voit sur le bloc de glaise à demi pétri le pouce de Michel-Ange.

Le merveilleux phénomène d’une capitale déjà existante représentant une fédération qui n’existe pas encore, et d’une ville ayant en elle l’envergure latente d’un continent, Paris nous l’offre. De là l’intérêt pathétique qui se mêle au puissant spectacle de cette cité-âme.

Les villes sont des bibles de pierre. Celle-ci n’a pas un dôme, pas un toit, pas un pavé, qui n’ait quelque chose à dire dans le sens de l’alliance et de l’union, et qui ne donne une leçon, un exemple ou un conseil. Que les peuples viennent dans ce prodigieux alphabet de monuments, de tombeaux et de trophées épeler la paix et désapprendre la haine. Qu’ils aient confiance. Paris a fait ses preuves. De Lutèce devenir Paris, quel plus magnifique symbole ! Avoir été la boue et devenir l’esprit !


II


L’année 1866 a été le choc des peuples, l’année 1867 sera leur rendez-vous.

Les rendez-vous sont des révélations. Là où il y a rencontre, il y a entente, attraction, frottement, contact fécond et utile, éveil des initiatives, intersection des convergences, rappel des déviations au but, fusion des contraires dans l’unité ; telle est l’excellence des rendez-vous. Il en sort un éclaircissement. Un carrefour de sentiers avec son poteau indicateur débrouille une forêt, un confluent de rivières conseille la colonisation, une conjonction de planètes éclaire l’astronomie. Qu’est-ce qu’une exposition universelle ? C’est le monde voisinant. On va causer un peu ensemble. On vient comparer les idéals. Confrontation de produits en apparence, confrontation d’utopies en réalité. Tout produit a commencé par être une chimère. Voyez-vous ce grain de blé ; il a été, pour les mangeurs de glands, une absurdité.

Chaque peuple a son patron de l’avenir qui est une extravagance ; l’amalgame et la superposition de toutes ces extravagances diverses composent, pour l’œil fixe du penseur, la confuse et lointaine figure du réel. Ces réverbérations viennent des profondeurs. Ainsi les fantômes ébauchent l’être ; ainsi les idolâtries esquissent Dieu.

Celui qui rêve est le préparateur de celui qui pense. Le réalisable est un bloc qu’il faut dégrossir, et dont les rêveurs commencent le modelé. Ce travail initial semble toujours insensé. La première phase du possible, c’est d’être l’impossible. Quelle quantité de folie y a-t-il dans le fait ? Épaississez