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sa fin dans le code. Les lois sont le prolongement des mœurs. Enregistrons les faits à mesure qu’ils se présentent. Dès à présent, quand la peine de mort opère sur une place publique en France, défense est faite à l’armée de regarder l’échafaud ; les hommes de garde ne doivent point faire face au supplice, et les soldats ont ordre de tourner le dos à la loi. C’est là, à vrai dire, une exécution de la guillotine. Il faut louer l’autorité publique quelconque qui l’a voulue.

Au fond, cette autorité, c’est Paris.

Paris est un flambeau allumé. Un flambeau allumé a une volonté. Paris, après 89, la révolution politique, a fait 1830, la révolution littéraire ; remise en équilibre des deux régions, la région de l’idée appliquée et la région de l’idée pure ; installation dans l’intelligence de la démocratie installée dans l’état ; suppression des routines ici comme des abus là ; transformation du goût français en goût européen ; remplacement d’un art ayant pour souverain le public par un art ayant pour élève le peuple. Ce peuple, celui de Paris, est déjà pensif et profond. Prenez ce petit être qu’on appelle le gamin de Paris ; en révolution que fait-il ? il respecte le chemin de fer et démolit l’octroi ; et l’instinct de cet enfant éclaire toute l’économie politique. C’est à Paris que la question des banques s’élabore, et que se centralise ce vaste et fécond mouvement coopératif qui, donnant raison aux prévisions du grand socialiste de 1848, Louis Blanc, amalgame le capitaliste à l’ouvrier, associe les industries sans gêner la liberté, proportionne le résultat à l’effort, et résout l’un par l’autre les deux problèmes du bien-être et du travail. Les préjugés et les erreurs sont des torsions qui exigent un redressement ; l’appareil orthopédique, ébauché par Ramus, agrandi par Rabelais, retouché par Montaigne, rectifié par Montesquieu, perfectionné par Voltaire, complété par Diderot, achevé par la Constitution de l’an II, est à Paris. Paris tient école. École de civilisation, école de croissance, école de raison et de justice. Que les peuples viennent se tremper l’âme dans ce tourbillon de vie ! que les nations viennent vénérer cet hôtel de ville d’où est sorti le suffrage universel, cet Institut, avant peu régénéré, d’où sortira l’enseignement gratuit et obligatoire, ce Louvre d’où sortira l’égalité, ce champ de Mars d’où sortira la fraternité. Ailleurs on forge des armées ; Paris est une forge d’idées.

Bonne espérance à l’avenir ! Paris est la ville de la puissance par la concorde, de la conquête par le désintéressement, de la domination par l’ascension, de la victoire par l’adoucissement, de la justice par la pitié et de l’éblouissement par la science. De l’Observatoire la philosophie voit une plus grande quantité de Dieu que la religion n’en voit de Notre-Dame. Dans cette cité prédestinée, le contour vague, mais absolu, du progrès est partout reconnaissable ; Paris, chef-lieu d’Europe, est déjà hors de l’ébauche, et dans