Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le tocsin d’aujourd’hui est un tocsin pacifique. C’est la vaste sonnerie joyeuse du travail invitant toutes les nations à l’exposition du chef-d’œuvre de chacune.


V


Quelque chose de nous est toujours penche sur nos enfants, et dans le temps futur il entre une dose du temps actuel. La civilisation traverse des phases quelconques, toujours dominées par la phase précédente. Aujourd’hui, sur tout ce qui est, et sur tout ce qui sera, la révolution française est en surplomb. Pas un fait humain que ce surplomb ne modifie. On se sent pressé d’en haut, et il semble que l’avenir ait hâte et double le pas. L’imminence est une urgence ; l’union continentale, en attendant l’union humaine, telle est présentement la grande imminence ; menace souriante. Il semble, à voir de toutes parts se constituer les landwehrs, que ce soit le contraire qui se prépare, mais ce contraire s’évanouira. Pour qui observe du sommet de la vraie hauteur, il y a dans la nuée de l’horizon plus de rayons que de tonnerres. Tous les faits suprêmes de notre temps sont pacificateurs. La presse, la vapeur, le télégraphe électrique, l’unité métrique, le libre échange, ne sont pas autre chose que des agitateurs de l’ingrédient Nations dans le grand dissolvant Humanité. Tous les railways qui paraissent aller dans tant de directions différentes, Pétersbourg, Madrid, Naples, Berlin, Vienne, Londres, vont au même lieu, la Paix. Le jour où le premier air-navire s’envolera, la dernière tyrannie rentrera sous terre.

Le mot Fraternité n’a pas été en vain jeté dans les profondeurs, d’abord du haut du Calvaire, ensuite du haut de 89. Ce que Révolution veut, Dieu le veut. L’âme humaine étant majeure, la conscience humaine est lucide. Cette conscience est révoltée par la voie de fait dite guerre. Les guerres offensives en particulier, contenant un aveu naïf de convoitise et de brigandage, sont condamnées par l’humanité honnête du genre humain. Remettre en marche les armures n’est décidément plus possible ; les panoplies sont vides, les vieux géants sont morts. Césarisme, militarisme, il y a des musées pour ces antiquités-là. L’abbé de Saint-Pierre, qui a été le fou, est maintenant le sage. Quant à nous, nous pensons comme lui, et nous nous figurons sans trop de peine que les hommes doivent finir par s’aimer. Vivre en paix, est-ce donc si absurde ? On peut, ce nous semble, rêver une époque où lorsque quelqu’un dira : propreté, promptitude, exactitude, bon service, on ne songera pas tout d’abord à un canon se chargeant par la culasse, et où le fusil à aiguille cessera d’être le modèle de toutes les vertus.