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Balzac ou Napoléon, racontant un épisode littéraire ou politique, faisant défiler des hommes en vue, appréciant une question littéraire, commentant le passé, jugeant le présent, empiétant quelquefois sur l’avenir et, chose curieuse, ne cessant jamais d’être lui-même.


Le Moniteur universel.
Édouard Thierry.

… Quels souvenirs m’a rappelés le nouveau volume de l’illustre écrivain, recueilli et publié ces derniers jours par ses fidèles exécuteurs testamentaires !

Nulla dies sine linea, pas un jour qui n’eût sa ligne, c’était la devise du maître des maîtres.

… Ah ! que cela fait du bien à ceux qui avaient perdu leur poète de le retrouver après un si douloureux éloignement et de se retrouver eux-mêmes avec lui, de l’aimer sans y faire effort, sans s’y contraindre, ni se reprocher en même temps de l’aimer trop et de moins l’aimer ! Le voici touchant et touché, presque sans haine et la mansuétude au cœur.

Des deux voix que Victor Hugo avait tour à tour en parlant, la voix sombre du tribun menaçant, et la voix qui parle du cœur au cœur dans l’intimité, c’est surtout l’organe lumineux et ami qu’il conserve.

Sa prose rythmique est souple et aisée. Elle récite comme le vers de Cromwell et des Feuilles d’automne. Elle cherche moins la couleur que la limpidité. Elle est sincère. Elle agrandit le sujet quand il est grand ; mais elle ne surfait rien et n’exagère pas. Le poète est fidèle à ses traditions de famille et à l’enthousiasme de sa jeunesse.


Le critique cite les Funérailles de Napoléon et ajoute :


Quelle image ! Et quelle vérité dans quelle poésie ! Le moment est venu plus tard où Victor Hugo a été à son tour cette torche ardente qui traîne l’acclamation déroulée en fumée derrière elle.


Paris illustré,
Saint-Juirs.

Une heureuse fortune fait revivre chaque année Victor Hugo par la publication de ses œuvres posthumes. Dans son grand atelier littéraire, au fond des coffres, les privilégiés à qui il a légué sa volonté suprême ont trouvé intact un immense trésor de manuscrits inédits.

Choses vues ! Ce titre n’est pas une promesse vaine. Le volume ne contient en effet que des pages écrites sur les hommes et les choses que Victor Hugo a réellement connus, sur les drames ou les comédies de la vie auxquels il a été mêlé intimement, depuis 1838 jusqu’en 1875. Le grand poète a beaucoup retenu, non seulement parce qu’il a beaucoup vu, mais parce qu’il a bien vu. Presque toujours, c’est l’œil qui fait l’artiste. Chez Victor Hugo, la vision est extraordinairement fidèle et pénétrante. Son regard embrasse les surfaces sans en omettre aucun détail typique ; mais, s’il ne se contente pas de la possession complète des apparences, il s’enfonce profondément et atteint l’au-delà. Il n’y a pas à mettre en doute la parfaite exactitude des tableaux qu’il peint dans leur vérité matérielle et morale, avec un style toujours proportionné au sujet, avec un esprit toujours en éveil, avec une âme souvent attendrie. Ces copeaux ajoutent à l’œuvre considérable et diverse de Victor Hugo une note de plus, et, après avoir admiré le poète dans la Légende des Siècles, le philosophe dans les Misérables, l’artiste dans Notre-Dame de Paris, le satirique dans les Châtiments, le conteur dans le Voyage aux bords du Rhin, le dramaturge dans Hernani, nous voyons le puissant créateur de tant d’œuvres diverses nous apparaître sous un aspect absolument nouveau dans Choses vues. C’est un Saint-Simon qui a écrit ce livre, un Saint-Simon qui possède au suprême degré ce qui manquait au duc quand il écrivait ses mémoires : le cœur. Victor Hugo est un Saint-Simon ému.

Le livre est beau de la plus haute beauté parce qu’il est humain. Un souffle généreux le traverse. Il offre le double attrait des mémoires et du journal intime. Mais quel journal que celui-là, à la fois simple et génial, et quel maître journaliste que Victor Hugo !

… Je voudrais reproduire entièrement la conclusion de ce beau livre, c’est une page admirable où Victor Hugo énumère tous les personnages qui lui ont fait l’honneur d’entrer dans sa maison. Ce sont des rois et des empereurs mêlés à de simples artisans, des ma-