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À la révélation de ces faits, une sorte de commotion électrique agita la proscription dans toute la ville. On courait dans les rues, on s’abordait ; les plus exaltés étaient les plus stupéfaits. — Cet Hubert auquel on avait cru !

Un fait ajoutait à l’émotion. Le jeudi est jour de poste à Jersey, les journaux de France venaient d’arriver. Or les nouvelles qu’ils apportaient éclairaient Hubert d’une sorte de lueur sinistre. Trois cents arrestations avaient eu lieu à Paris et une foule en France. Hubert avait vu Rocher (de Nantes) à Saint-Malo, Rocher était arrêté ; il avait vu Guépin et les Mangin à Nantes, les Mangin et Guépin étaient arrêtés ; il avait vu Rioteau à Angers et lui avait emprunté de l’argent, Rioteau était arrêté ; il avait vu Goudchaux et Boisson à Paris, Goudchaux et Boisson étaient arrêtés.

Les faits et les souvenirs arrivaient en foule. Gaffney, un de ceux qui avaient jusqu’au dernier moment soutenu Hubert, racontait qu’en 1852 il avait expédié en contrebande de Londres pour le Havre un ballot contenant quatrevingts exemplaires de Napoléon le Petit. Hubert et un avoué de Rouen, proscrit, nommé Bachelet, étaient dans sa chambre quand il avait fermé le ballot. Il avait fait devant eux un calcul duquel il résultait que le ballot serait chez sa mère, à lui Gaffney, tel jour où un ami, prévenu, pourrait venir chercher l’envoi. Hubert et Bachelet sortirent. Après leur départ, Gaffney rectifia son calcul et reconnut que le ballot arriverait chez sa mère, au Havre, un jour plus tôt. Il écrivit à sa mère et à son ami en conséquence. Le ballot arriva en effet, et fut enlevé par l’ami.

Le lendemain, qui était le jour fixé précédemment par Gaffney en présence de Hubert et de Bachelet, une descente de police eut lieu chez Mme  Gaffney, et on retourna toute la maison pour trouver des livres qui, dirent les agents, devaient lui avoir été envoyés de Londres.

Vers dix heures du soir, douze ou quinze proscrits étaient réunis chez Beauvais. Pierre Leroux, et un jersiais, M. Philippe Asplet, officier du connétable, étaient assis dans un coin ; Pierre Leroux entretenait M. Asplet des tables tournantes. Tout à coup Henry entre et raconte le fait, le double fond de la malle, la lettre à Maupas, les arrestations en France ; Hayes, Gigoux et Rondeau surviennent et confirment les dires de Henry.

En ce moment la porte s’ouvre et Hubert paraît. Il rentrait se coucher et venait, comme d’habitude, prendre sa clef pendue à un clou dans la salle commune.

— Le voilà ! crie Hayes.

Tous se précipitent sur Hubert ; Gigoux le soufflette, Hayes le saisit aux cheveux, Heurtebise l’empoigne à la cravate et lui serre le cou. Beauvais lève un couteau.