[ROYER-COLLARD.]
Hier, à l’Académie, la séance n’étant pas encore ouverte, M. Royer-Collard et M. Ballanche sont venus s’asseoir auprès de moi. Nous nous sommes mis à causer. C’était pourtant plutôt une conversation à deux qu’à trois. J’écoutais plus que je ne parlais.
— Voici enfin la chaleur qui vient, a dit M. Royer-Collard.
— Oui, a répondu M. Ballanche, mais il en vient trop. C’est déjà trop pour moi.
— Comment ! a repris M. Royer-Collard, vous n’êtes donc pas méridional ?
— Non. Cette chaleur m’accable. Je la subis. Je me résigne.
— Il faut se résigner aux saisons comme aux hommes, a dit M. Royer-Collard.
— La résignation est le fond de tout.
— Si l’on ne savait pas se résigner, a poursuivi M. Royer-Collard, on mourrait de colère.
Puis, après un moment de silence, et en appuyant sur les mots de la façon qui lui est particulière : — Je ne dis pas qu’on mourrait en colère, je dis qu’on mourrait de colère.
— Moi, a dit M. Ballanche, la colère n’est plus dans mon tempérament. Je n’en ai plus.
— Je n’ai plus de colère, a reparti M. Royer-Collard, parce que je réfléchis qu’une demi-heure après je ne serai plus en colère.
— Et moi, a répliqué M. Ballanche, je n’ai plus de colère parce que j’ai l’esprit troublé.
Après un moment de silence, il a ajouté en souriant : — La dernière fois que je me suis mis en colère, c’est à l’époque de la coalition. La coalition, oui, oui, la coalition a été ma dernière colère.
— Je ne me mettais déjà plus en colère dans ce temps-là, a répondu M. Royer-Collard, je regardais faire. J’ai protesté beaucoup plus en dedans qu’au dehors de moi, comme proteste un homme qui ne parle plus. Depuis lors je suis resté trois ans encore à la Chambre. Je le regrette. C’est trois ans de trop. Je suis resté trop longtemps à la Chambre ; j’aurais dû me retirer