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Au moment où je quittais l’Esplanade, vers trois heures, un petit groupe, marchant lentement, la traversait. C’était un homme vêtu de noir, un crêpe au bras et au chapeau, suivi de trois autres, dont l’un, couvert d’une blouse bleue, tenait un jeune garçon par la main. L’homme au crêpe avait sous le bras une espèce de boîte blanchâtre à demi cachée par un drap noir, qu’il portait comme un musicien porte l’étui dans lequel est renfermé son instrument.

Je me suis approché. L’homme noir, c’était un croque-mort ; la boîte, c’était la bière d’un enfant.

Le trajet que faisait le convoi parallèlement à la façade des Invalides coupait en croix la ligne qu’avait suivie, il y a trois mois, le corbillard de Napoléon.




Aujourd’hui, 8 mai, je suis retourné aux Invalides pour voir la chapelle Saint-Jérôme où l’empereur est provisoirement déposé. Toute trace de la cérémonie du 15 décembre a disparu de l’Esplanade. Les quinconces sont retracés ; le gazon pourtant n’a pas encore repoussé. Il faisait un assez beau soleil mêlé par instant de nuages et de pluie. Les arbres étaient verts et joyeux. Les pauvres vieux invalides causaient doucement avec des tas de marmots et se promenaient dans leurs petits jardins pleins de bouquets. C’est ce charmant moment de l’année où les derniers lilas s’effeuillent, où les premiers faux-ébéniers fleurissent.

Les larges ombres des nuages passaient rapidement dans la cour d’honneur où il y a, sous une archivolte du premier étage, une statue pédestre en plâtre de Napoléon, assez triste pendant du Louis XIV équestre fièrement sculpté en pierre sur le grand portail.

Tout autour de la cour, au-dessous de la corniche des toits, sont encore collées, derniers vestiges des funérailles, les longues bandes minces de toile noire sur lesquelles on avait peint en lettres d’or, trois par trois, les noms des généraux de la révolution et de l’empire. Le vent commence pourtant à les arracher çà et là. Sur l’une de ces bandes, dont la pointe détachée flottait à l’air, j’ai lu ces trois noms :


sauret — chambure — hug…


La fin du troisième nom avait été déchirée et emportée par le vent. Était-ce Hugo ou Huguet ?

Quelques jeunes soldats entraient dans l’église. J’ai suivi ces tourlourous,