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les attentats politiques interrompent. Enfantement pénible dont de tels crimes peuvent faire un avortement.

Il reste, dis-je, un fait hautement punissable dont la cour des pairs devait connaître et que la cour des pairs doit réprimer au double point de vue de la politique et de la justice.

Pourtant, ne l’oublions pas quand le moment sera venu d’arbitrer la peine, nous avons là devant nous non un esprit ferme, une raison saine, une nature passionnée, violente, robuste, une volonté intelligente même dans le fanatisme ; mais un cerveau troublé, une intelligence en désordre, une volonté faible, une âme malade. Nous devrons proportionner le châtiment, non au crime qui est grand, mais au criminel qui est petit.

Je me résume.

Voilà, Messieurs, ce que je vois dans la cause. Un attentat contre la vie du roi ? Non. Un attentat contre la personne du roi ? Non. Un attentat contre la majesté du roi ? Oui.

Tout en tenant compte de l’état mental de Joseph Henri, je le déclare coupable de cet attentat, je me réserve d’appliquer sa peine.


Le premier président Boullet a demandé que la question d’offense à la personne royale fût posée comme résultant des débats.

Le marquis de Gabriac a réservé son vote, comme il avait fait dans la délibération sur Pierre Lecomte. Il paraît que c’est son habitude.

M. Viennet a voté dans le même sens que moi, en évitant soigneusement de citer et de rappeler mon opinion. Il a bien parlé.

Le comte de la Redorte a déclaré énergiquement que dans sa pensée il n’y avait point de régicide ; que de deux choses l’une : ou les coups de pistolet avaient pu atteindre jusqu’au château, ou ils ne l’avaient pu ; que dans le second cas il n’y avait point de régicide ; que dans le premier, il fallait, pour porter jusque-là, que les pistolets fussent chargés à balle forcée ; la balle forcée exclut la bourre ; or l’accusation s’appuie sur une bourre trouvée ; donc point de balle forcée ; donc point de choc possible, donc point de régicide. Sur la question d’offense à la majesté royale, il s’est réservé.

Le prince de la Moskowa a appuyé, comme homme de métier, les observations de M. de la Redorte. Aucune preuve de l’attentat à la vie du roi ; aucune preuve de l’attentat à la personne ; quant à l’attentat à la majesté royale, Joseph Henri n’était point accusé de cela. Le prince de la Moskowa a conclu au renvoi de l’accusé.

M. Persil a estimé que l’offense à la personne impliquait l’offense à la majesté, que le vague de la loi était le fait exprès du législateur pour admettre des cas comme ceux-ci, que la personne royale était symbolique et signifiait au besoin la royauté, que la violation de la royauté pouvait donc se qualifier attentat à la personne royale sans que la chair du roi ait été atteinte ou même menacée. Il a conclu à l’attentat contre la personne. Toute cette discussion a été savante et faite en fort bons termes.

Le marquis de Boissy a commencé par protester contre le départ du général Jacqueminot. Il a réclamé que le droit de vote lui fût rendu, ajoutant qu’il faisait cette réclamation quoique d’une opinion contraire à l’opinion du général sur le fond de l’affaire. Il a rappelé que M. le chancelier, dans le procès Lecomte, avait opiné en racontant ses conversations particulières avec l’accusé ; que le général Jacqueminot n’avait pas fait autre chose ; que, dans tous les cas, c’était à la cour à statuer et non au chancelier. (Ici le chancelier a dit : Vous avez raison.)

M. de Boissy a lui-même raconté ses conversations avec le capitaine-expert pour démontrer que les expertises ont été mal faites, puis continuant et abordant la cause, il a critiqué vivement la commission d’instruction, ce qu’avait fait aussi M. de la Moskowa. M. de la Moskowa avait blâmé l’omission d’un témoin Ulm favorable aux dires de l’accusé. M. de Boissy a signalé le rapport de M. Laplagne-Barris comme ayant dit à tort que les pistolets avaient une ligne de tir. Ceci a fort fâché M. Laplagne-Barris qui s’agitait dans son fauteuil en haussant les épaules, et montrait des passages de son rapport à ses voisins MM. Portalis, Girod de l’Ain, Decazes et d’Argout. M. de Boissy a déclaré que, pas plus dans cette affaire que dans le procès Lecomte, il ne s’associerait à une condamnation capitale. Il a du reste réservé son vote.