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appelait Gâcon ou Cachon.) Ce juge, homme expert, prend le registre, l’ouvre, et, en deux minutes, trouve au haut d’une page, en effet, la mention dénoncée par Fieschi. Pépin s’était borné à la barrer négligemment, mais elle était restée fort lisible. Le président de la cour des pairs et le procureur général, par une sorte d’habitude facile à comprendre, n’avaient pas lu les passages barrés, et cette mention leur avait échappé.

La chose trouvée, on amène Fieschi, on amène Pépin, et on les confronte devant le livre. Consternation de Pépin. Joie de Fieschi. Pépin bredouille, se trouble, pleure, parle de sa femme et de ses trois enfants. Fieschi triomphe. L’interrogatoire fut décisif et perdit Pépin. La séance avait été longue ; M. Pasquier renvoie Pépin, tire sa montre et dit à Fieschi : — Cinq heures ! Allons ! en voilà assez pour aujourd’hui. Il est temps que vous alliez dîner. — Fieschi fait un bond : — Dîner ! oh ! j’ai dîné aujourd’hui. J’ai coupé le cou à Pépin. —

Je tiens tout ceci du chancelier lui-même.

J’ai dit que Fieschi était exact dans les moindres détails. Il dit un jour qu’au moment de son arrestation il avait un poignard sur lui. Il n’était resté aucune trace de ce poignard dans aucun procès-verbal.

— Fieschi, lui dit M. Pasquier, à quoi bon mentir ? Vous n’aviez pas de poignard. Aucun procès-verbal n’en fait mention.

— Je le crois bien, Monsieur le président, dit Fieschi. En arrivant au corps de garde, j’ai profité d’une minute où les sergents de ville avaient le dos tourné pour jeter le poignard sous le lit de camp où l’on m’avait couché. Il y doit être encore. Faites chercher. Ces gendarmes sont des cochons. Ils ne balayent pas sous leur lit.

On alla au corps de garde, on déplaça le lit de camp, et l’on trouva le poignard.

J’étais à la cour des pairs la veille de sa condamnation. Morey était pâle et immobile. Pépin faisait semblant de lire un journal. Fieschi gesticulait, déclamait, riait. À un certain moment, il se leva et dit : — Messieurs les pairs, dans quelques jours, ma tête sera séparée de mon corps, je serai mort et je pourrirai sous la terre. J’ai commis un crime et je rends un service. Mon crime, je vais l’expier ; mon service, vous en recueillerez les fruits. Après moi, plus d’émeutes, plus d’assassinats, plus de troubles. J’aurai essayé de tuer le roi, j’aurai abouti à le sauver.

Ces paroles, le geste, le son de voix, l’heure, le lieu, me frappèrent. Cet homme me parut courageux et résolu. Je dis la chose à M. Pasquier, qui me répondit : — Il ne croyait pas mourir.

C’était un bravo, un condottiere, rien autre chose. Il avait servi, et mêlait à son crime je ne sais quelles idées militaires. — Votre action est bien