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cause politique, l’amnistie, et une cause domestique, Nieuwerkerke, il n’en fallait pas tant, le cabinet s’est fêlé. L’échec sur le sel a achevé l’ébranlement. Tout ce qui ne tenait pas à un bon clou est tombé. Malleville a entraîné Bixio. Passy, quoique plus secoué en apparence par le choc de la Chambre, est resté en place, son clou, à lui, étant solide. Le clou de Passy, c’est Thiers.

L’affaire Nieuwerkerke est mauvaise. On en chuchote, et l’on ajoute que Louis Bonaparte est bien forcé d’en passer par où veut la princesse Mathilde, sa cousine étant sa caissière. Le 10 décembre aurait coûté, dit-on, deux cent mille francs, avancés par Mme Mathilde. Il est curieux que ce soit l’argent de ce mougick russe Demidoff qui fasse les frais de nos élections républicaines.

À propos du comte Demidoff, on a fait sur lui ce distique :

Mon père m’a fait serf.
Ma femme m’a fait cerf.

Les détails sur l’incident Nieuwerkerke ont foisonné dans les racontages des salons. Le président aurait écrit à M. de Malleville une lettre ainsi conçue : — Monsieur le Ministre, vous ne m’avez pas encore apporté à signer la nomination de M. de Nieuwerkerke. Je suis forcé de vous en témoigner mon mécontentement. — Vous ne me communiquez pas vos correspondances secrètes avec l’extérieur. J’entends qu’elles me soient soumises. — Vous négligez de me transmettre à leur arrivée les dépêches télégraphiques. Ayez ce soin à l’avenir. — J’attends toujours les dossiers des affaires de Strasbourg et de Boulogne. Veuillez me les envoyer. Je vous en avais prié, je vous l’ordonne. — Occupez-vous aussi d’exécuter mes intentions quant aux changements de préfets. (La nomination de M. Bohain.) — Il ne faut pas que les ministres que j’ai nommés s’imaginent qu’ils feront de moi quelque chose comme le grand électeur de l’abbé Sieyès. — Louis Bonaparte.

M. de Malleville envoya la missive à M. Odilon Barrot avec ce mot : — Ci-joint une lettre insolente du président, et ma démission.

Le lendemain matin, Odilon Barrot entrait chez le prince de grand matin.

— Vous attendez sans doute ma visite ?

— Ma foi, non.

— Voici la démission du cabinet.

Le prince s’amenda, le cabinet resta. Seuls Malleville et Bixio s’obstinèrent.

Au milieu de tout cela, Louis Bonaparte donnait hier à dîner à Émile de Girardin, recevait les frères Dupin et disait à mon fils qui lui parlait d’Odilon Barrot : — Ce ne n’est pas un homme pratique. Il ajoutait en parlant de son cabinet et du vote de la Chambre sur le sel : — Donneront-ils leur démission ? Comment vont-ils se tirer de là ? prenant ainsi des façons de roi constitutionnel qui ne vont pas à un président, croyant bien faire, mais se trompant. Ce qui