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1835.


[FIESCHI[1].]


Tant que Fieschi, après son arrestation, crut que ses complices lui portaient intérêt, il garda le silence. Un jour, il apprit par sa maîtresse, Nini Lassave, la fille borgne, que Morey avait dit : Quel malheur que l’explosion ne l’ait pas tué ! À dater de ce moment, la haine s’empara de Fieschi ; il dénonça Pépin et Morey, et mit à les perdre autant d’acharnement qu’il avait mis jusque-là de volonté à les sauver.

Morey et Pépin furent arrêtés. Fieschi devint l’auxiliaire dévoué de l’accusation. Il entra dans les plus minutieux détails, révéla tout, indiqua tout, éclaircit tout, traqua, expliqua, dévoila, démasqua, et ne faillit en rien, et ne mentit jamais, se souciant peu de mettre sa tête sous le couteau, pourvu que les deux autres têtes tombassent.

Un jour, il dit à M. Pasquier : « Ce Pépin est si bête qu’il inscrivait sur son livre l’argent qu’il me donnait pour la machine en en indiquant l’emploi. Faites une perquisition chez lui. Prenez son livre des six premiers mois de 1835. Vous trouverez au haut d’une page une mention de cette nature faite de sa main. » On suit ses instructions, la perquisition est ordonnée, le livre est saisi. M. Pasquier examine le livre, le procureur général examine le livre, on n’y trouve rien. Cela paraît étrange. Pour la première fois, Fieschi était en défaut. On le lui dit. Il répond : « Cherchez mieux. » Nouvelles recherches, peines perdues. On adjoint aux commissaires de la chambre un ancien juge d’instruction que cette affaire fit conseiller à la cour royale de Paris. (M. Gaschon, que le chancelier Pasquier, en me contant tout cela,

  1. Au moment où le roi Louis-Philippe rentrait, après avoir passé une revue des troupes, pour célébrer, le 28 juillet 1835, l’anniversaire des Trois glorieuses, une effroyable détonation se fit entendre d’une fenêtre du troisième étage, au no 50 du boulevard du Temple. Dans la cour de cette maison, un individu tout couvert de sang était arrêté ; les débats s’ouvrirent à la Chambre des pairs constituée en Cour de justice, sous la présidence du baron Pasquier : Fieschi, Morey et Pépin furent condamnés à mort. (Note de l’éditeur.)