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[14 novembre.]

Pendant qu’on promulguait cette pauvre Constitution dans une espèce de décoration de théâtre qui cachait sous de la toile peinte et du carton la magnifique ornementation de marbre et de pierre de la place Louis XV, les représentants causaient de cent bagatelles tout en grelottant sous la première neige de l’année qui tombait en ce moment-là même. On se racontait la Vraie conversation de M. Véron et de M. le général Cavaignac. M. Véron, invité à faire visite au général, a eu soin d’y aller parfaitement gris. C’était le soir à la sortie de l’Opéra. À la question du général Cavaignac : — Qui choisissez-vous de M. Louis Bonaparte ou de moi ? M. Véron a répondu : — Couchez-moi dans un lit entre le général Cavaignac et le prince Louis, Je choisirai après.

Il y avait dans les tribunes de fort belles tapisseries empruntées au garde-meuble et qui servaient les hivers passés aux bals des Tuileries.

L’ornementation de la place se composait d’un demi-cercle de faisceaux placés en avant des tribunes. Chaque faisceau portait le nom d’un département. De trois en trois faisceaux il y avait le coq tel que l’a fait la révolution de Février. Les réactionnaires loustics remarquaient à l’un des bouts de la place les noms de trois départements ainsi disposés : l’Oise, l’Eure, la Somme. Ils lisaient : L’oiseleur l’assomme.

On disait Caussidière présent à Paris et caché.

Le soir, le gouvernement avait invité Paris à illuminer.

De la rue de la Tour-d’Auvergne à la rue Charlot, j’ai compté trois lanternes allumées à une seule maison. Le seul théâtre qui ait obéi à l’injonction, ç’a été le petit spectacle-concert qui est au coin du bazar Bonne-Nouvelle.

Le lendemain, un banquet réunissait quinze cents ouvriers socialistes à la barrière du Maine. On y criait beaucoup : Vive Raspail ! Vive Cabet ! Vive Pierre Leroux ! ce qui forçait le ministre de la guerre à tenir trois bataillons cachés dans le palais de l’Assemblée.

À propos du feu d’artifice annoncé pour le dimanche suivant, un colonel me disait : — Voilà un feu d’artifice qui fera tenir soixante-cinq mille hommes sous les armes.




Novembre 1848.

J’ai dîné le 19 novembre chez Odilon Barrot à Bougival.

Il y avait MM. de Rémusat, de Tocqueville, Grandin, Léon Faucher, un