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III


M. le duc d’Orléans me contait il y a quelques années qu’à l’époque qui suivit immédiatement la révolution de Juillet, le roi lui fit prendre séance dans son conseil. Le jeune prince assistait aux délibérations des ministres. Un jour, M. Mérilhou, qui était garde des sceaux, s’endormit pendant que le roi parlait. — De Chartres, dit le roi à son fils, réveille M. le garde des sceaux. — Le duc d’Orléans obéit, il était assis à côté de M. Mérilhou, il le pousse doucement du coude ; le ministre dormait profondément ; le prince recommence, le ministre dormait toujours. Enfin le prince pose sa main sur le genou de M. Mérilhou qui s’éveille en sursaut et dit : — Finis donc, Sophie ! tu me chatouilles toujours !

1847.


IV


Voici de quelle façon le mot sujet a disparu du préambule des lois et ordonnances.

M. Dupont de l’Eure, en 1830, était garde des sceaux. Le 7 août, le jour même où le duc d’Orléans prêta serment comme roi, M. Dupont de l’Eure lui porta une loi à promulguer. Le préambule disait : Mandons et ordonnons à tous nos sujets, etc. Le commis chargé de copier la loi, jeune homme fort exalté, s’effaroucha du mot sujets, et ne copia point.

Le garde des sceaux arrive. Le jeune homme était employé dans son cabinet. — Eh bien, dit le ministre, la copie est-elle faite ? que je la porte à la signature du roi. — Non, Monsieur le ministre, répond le commis.

Explication. M. Dupont de l’Eure écoute, puis pince l’oreille du jeune homme et lui dit, moitié souriant, moitié fâché :

— Allons donc, Monsieur le républicain, voulez-vous bien copier cela tout de suite !

Le commis baissa la tête comme un commis qu’il était, et copia.

Cependant, M. Dupont conte la chose au roi en riant. Le roi n’en rit pas. Tout faisait difficulté alors. M. Dupin aîné, ministre sans portefeuille, avait entrée au conseil ; il éluda le mot et tourna l’obstacle ; il proposa cette rédaction qui fut adoptée et qui a été toujours admise depuis : Mandons et ordonnons à tous.

1847.