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J’avais depuis quelques jours des défiances dans l’esprit sur Cavaignac. Le mot de Lamartine les changea en soupçons.

La veille, comme l’émeute grandissait, Cavaignac, après quelques dispositions prises, avait dit à Lamartine :

— En voilà assez pour aujourd’hui.

Il était cinq heures.

— Comment ! s’écria Lamartine. Mais nous avons encore quatre heures de jour ! Et l’émeute en profitera pendant que nous les perdrons !

Il ne put rien tirer de Cavaignac que : — En voilà assez pour aujourd’hui !




24 juin. Journée du samedi.

Vers trois heures, au moment le plus critique, un représentant du peuple, en écharpe, arriva à la mairie du iie arrondissement, rue Chauchat, derrière l’Opéra. On le reconnut. C’était Lagrange.

Les gardes nationaux l’entourèrent. En un clin d’œil, le groupe devint menaçant. — C’est Lagrange ! l’homme du coup de pistolet ! Que venez-vous faire ici ? Vous êtes un lâche. Allez derrière les barricades, c’est votre place. Les vôtres sont là et pas avec nous. Ils vous proclament leur chef. Allez-y ! Ils sont braves, eux, au moins. Ils donnent leur sang pour vos folies. Et vous, vous avez peur ! Vous avez un vilain devoir, mais faites-le au moins ! Allez-vous-en ! Hors d’ici !

Lagrange essaya de parler, les huées couvrirent sa voix.

Voilà comment ces furieux accueillaient l’honnête homme qui, après avoir combattu pour le peuple, voulait se dévouer pour la société.




24 juin.

Voici comment les soldats de la ligne qualifient la garde mobile. Tout à l’heure, sur le perron de la Chambre, ils disaient : Les voyous ont mis la crosse en l’air.

Quelques heures après la garde mobile se comportait héroïquement.




25 juin.

Les insurgés tiraient, sur toute la longueur du boulevard Beaumarchais, du haut des maisons neuves. Beaucoup s’étaient embusqués dans la grande maison en construction vis-à-vis la Galiote. Ils avaient mis aux fenêtres des mannequins, bottes de paille revêtues de blouses et coiffées de casquettes.