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III


À Dresde, l’empereur eut une vraie cour de rois. N’y vint pas qui voulut. Napoléon choisit. Les princes de l’Europe briguèrent Dresde comme sous Louis XIV les grands seigneurs de France briguaient Marly.

Tous les soirs l’empereur tenait cercle. Les souverains, grands et petits, y assistaient, inclinés devant le maître, tous égaux dans la déférence, et l’on ne distinguait parmi eux plus de grandeur qu’à plus d’humilité. Les gros en effet avaient plus à perdre que les autres ; de là plus de crainte, et la crainte se traduisait en respect.

Les choses en étaient à ce point que l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse n’osaient pas s’asseoir devant Napoléon. Ils se tenaient en sa présence chapeau bas, attendant pour parler que l’empereur parlât, et souriant le plus et le mieux qu’ils pouvaient. L’empereur d’Autriche en habit blanc, en culotte blanche, en bas de soie blancs, semblait un beau-père d’opéra-comique. Le roi de Prusse, grand, busqué, sanglé d’une ceinture d’ordonnance, les yeux toujours baissés, avait l’air d’un caporal devant son colonel.

Cela fut si fort un soir et si remarqué, les deux princes étant debout à côté de Napoléon étendu sur un canapé, que l’impératrice d’Autriche, rouge de dépit, ne put s’empêcher de faire signe à son mari de s’asseoir. Ses froncements d’yeux et ses haussements d’épaules ne purent rien sur le pauvre bonhomme d’empereur qui resta debout.

Être debout, c’était une manière d’être à plat ventre.


21 novembre 1848.