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GUIZOT.


30 novembre 1847.

M. Guizot me disait hier :

Il y a dix ou douze ans M. Thiers me dit un jour en manière de reproche : — Vous méprisez la popularité. — Je lui ai répondu : — Non, je méprise l’impopularité.




M. Guizot avait besoin de beaucoup de sommeil. Il se couchait à dix heures du soir et se levait à huit heures du matin, l’été à six. Quand il faisait partie du ministère du 27 octobre 1840 comme ministre des affaires étrangères, il occupait précisément l’appartement qu’avait occupé vingt ans auparavant M. de Chateaubriand pendant le ministère de 1823. Il se rasait le matin dans le petit cabinet qui donne sur le boulevard, et il recevait là ses intimes et ses dévoués tout en faisant sa toilette, comme dans ma jeunesse j’avais vu faire à M. de Chateaubriand à la même heure dans cette même chambre.

M. Guizot était essentiellement bon, et occupé du souci de ne faire de chagrin ni de mal à aucun cœur. Si occupé qu’il fût, même au milieu des plus grandes affaires et des plus violents orages, il écrivait chaque jour au moins un billet à la princesse de L., il en recevait au moins deux, et donnait audience au moins trois ou quatre fois au valet de chambre de la princesse. La princesse de L. n’était plus jeune et n’avait jamais été belle. Mais une des particularités de M. Guizot, c’est qu’il avait toujours aimé les vieilles femmes. Tous les jours à une heure, il faisait une visite à la princesse qui demeurait rue Saint-Florentin, et une autre après son dîner.

Du reste, c’était un homme faible et indécis dans le conseil, irrésolu dans le cabinet, vacillant dans le parti à prendre, que la tribune emplissait de décision, de hardiesse, de fermeté et de grandeur. Dès que son pied touchait la tribune, sa tête touchait le ciel.