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C’était la voix de M. Mortier.

Les assistants respirent.

— Eh bien, reprend M. Pasquier, vous me connaissez, ouvrez-moi.

— Non, répond la même voix.

Insistance de M. Pasquier.

— Non, répète la voix, puis elle se tait obstinément. Le silence recommence.

Ceci à plusieurs reprises. Il répondait, le dialogue reprenait, il refusait d’ouvrir, puis se taisait. On tremblait que, dans ces moments de silence, il ne fit cette affreuse chose.

Cependant le préfet de police était arrivé.

— C’est moi, votre collègue, Delessert, — et votre ancien camarade. — (Ils ont été camarades de collège, je crois.)

On parlemente ainsi pendant plus d’une heure. Enfin il consent à entr’ouvrir la porte, pourvu qu’on lui donne parole de ne point entrer. Parole lui est donnée. Il entr’ouvre la porte ; on entre.

Il était dans l’antichambre, un rasoir ouvert à la main ; derrière lui, la porte de communication de ses appartements fermée et la clef ôtée. Il paraissait en frénésie.

— Si quelqu’un approche, dit-il, c’en est fait de lui et de moi, je veux rester seul avec Delessert, et causer avec lui ; j’y consens.

Conversation chanceuse avec un furieux armé d’un rasoir. M. Delessert, qui s’est bravement comporté, a fait retirer tout le monde, est resté seul avec M. Mortier, et après une résistance de vingt minutes l’a déterminé à quitter son rasoir.

Une fois désarmé, on l’a saisi.

Mais les enfants étaient-ils morts ou vivants ? On tremblait d’y songer. Aux questions, il avait toujours répondu :

— Cela ne vous regarde pas.

On enfonce la porte de communication, et que trouve-t-on tout au fond de l’appartement ? les deux enfants blottis sous des meubles.

Voici ce qui s’était passé :

Le matin, M. Mortier avait dit à ses enfants : — Je suis bien malheureux, vous m’aimez bien et je vous aime bien, je vais mourir. Voulez-vous mourir avec moi ?

Le petit garçon dit résolument :

— Non, papa.

Quant à la petite fille, elle hésitait. Pour la décider, le père lui passe le dos du rasoir doucement sur le cou, et lui dit :

— Tiens, chère enfant, cela ne te fera pas plus de mal que cela.