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27 août.

Jeudi, en sortant de l’Académie avec Cousin et le comte de Sainte-Aulaire, Cousin me disait :

— Vous verrez cette Mlle  de Luzzy, c’est une femme rare. Ses lettres sont des chefs-d’œuvre d’esprit et d’excellent langage. Son interrogatoire est admirable ; encore vous ne le lirez que traduit par Cauchy ; si vous l’aviez entendue, vous seriez émerveillé. On n’a pas plus de grâce, plus de tact, plus de raison. Si elle veut bien écrire quelque jour pour nous, nous lui donnerons, pardieu, le prix Montyon. Dominatrice, du reste, et impérieuse ; c’est une femme méchante et charmante.

J’ai dit à Cousin : — Ah ! çà, est-ce que vous en êtes amoureux ?

Il m’a répondu : — Hée !

— Que pensez-vous de l’affaire ? m’a demandé M. de Sainte-Aulaire.

— Qu’il faut qu’il y ait un motif. Autrement le duc est fou. La cause est dans la duchesse, ou dans la maîtresse, mais elle est quelque part ; sans quoi le fait est impossible. Il y a au fond d’un pareil crime ou une grande raison ou une grande folie.

C’est mon opinion en effet. Quant à la férocité du duc, elle s’explique par sa stupidité. C’était une bête ; ajoutez féroce.

Le peuple a déjà fait le mot prasliner. Prasliner sa femme.

Les pairs instructeurs ont visité avant-hier l’hôtel Praslin. La chambre à coucher est encore comme elle était le matin du crime. Le sang, de rouge, est devenu noir. Voilà la seule différence.

Cette chambre fait horreur. On y voit toute palpitante et comme vivante la lutte et la résistance de la duchesse. Partout des mains sanglantes allant d’un mur à l’autre, d’une porte à l’autre, d’une sonnette à l’autre. La malheureuse femme, comme les bêtes fauves prises au piège, a fait le tour de sa chambre en hurlant et en cherchant une issue sous les coups de couteau de l’assassin.

Le docteur Louis me disait :

— Le lendemain du crime, à dix heures et demie du matin, j’étais appelé et j’arrivais chez M. de Praslin. Je ne savais rien. Jugez de mon saisissement. Je trouve le duc couché. Il était déjà gardé à vue. Huit personnes, qui se relevaient d’heure en heure, ne le quittaient pas des yeux. Quatre agents de police étaient assis sur des fauteuils dans des coins. J’ai observé son état qui était horrible ; les symptômes parlaient ; c’était le choléra, ou le poison. On m’accuse de ne pas avoir dit tout de suite : Il s’est empoisonné. C’était le dénoncer, c’était le perdre. Un empoisonnement est un aveu tacite. « Vous