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Il y eut encore un silence.

Je lui demandai :

— Désirez-vous quelque chose ?

— Je voudrais sortir et me promener dans la cour un peu plus souvent. Voilà tout, Monsieur ; je ne sors guère qu’un quart d’heure par jour.

— C’est trop peu, dis-je au directeur. Pourquoi cela ?

— C’est que nous avons une telle responsabilité ! répondit le directeur.

— Comment ! dis-je, mettez quatre gardiens si deux ne suffisent pas. Mais ne refusez pas à ce jeune homme un peu d’air et de soleil. Une cour au centre de la prison, des verrous et des grilles partout, quatre hautes murailles tout autour, quatre gardiens toujours là, la camisole de force, des sentinelles à chaque guichet, deux chemins de ronde et deux enceintes de soixante pieds de haut, que craignez-vous ? Il faut que le prisonnier soit libre de se promener dans la cour quand il le demande.

Le directeur s’inclina et dit :

— C’est juste. Monsieur, je remplirai vos intentions.

Le condamné me remercia avec une sorte d’effusion.

— Il est temps que je vous quitte, lui dis-je. Tournez-vous du côté de Dieu et ayez bon courage.

— J’aurai bon courage. Monsieur.

Il m’accompagna jusqu’au seuil, et la porte se referma.

Le directeur me fit entrer à droite dans le cabanon voisin.

Celui-là était d’une forme plus allongée que l’autre, il n’y avait qu’un lit et un vase de terre grossière sous le lit.

— C’est ici, me dit le directeur, qu’a été enfermé Poulmann. Dans les six semaines qu’il a passées ici, il a usé trois paires de souliers à marcher sur ce plancher. Il avait même usé les planches. Il marchait sans cesse, et trouvait moyen de faire quinze lieues par jour dans son cabanon. C’était un terrible homme.

— Vous avez eu Joseph Henri ? lui dis-je.

— Oui, monsieur, mais à l’infirmerie. Il était malade. Celui-là écrivait toujours. À M. le garde des sceaux. À M. le procureur général. À M. le chancelier. À M. le grand référendaire. Des lettres, des lettres de quatre pages à tout le monde, et d’une petite écriture serrée. Je lui dis un jour en riant : — Heureusement que vous n’êtes pas obligé de lire ce que vous écrivez ! — Évidemment personne ne les lisait, ces lettres-là. C’était un fou.


Comme je sortais de la prison, le directeur me fit remarquer les deux chemins de ronde. De hautes murailles, une herbe rare, une guérite de trente en trente pas, cela glace.