Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sorte d’antichambre obscure et dallée de pierres. Je vis devant moi trois portes, une en face, les deux autres à droite et à gauche ; trois lourdes portes de chêne percées d’un guichet à grille et chargées d’une énorme armature de fer. Ces trois portes donnent sur trois cellules destinées à des condamnés à mort qui attendent leur sort après leur double pourvoi en grâce et en cassation. C’est en général un répit de deux mois. — Il n’y a encore eu, me dit le directeur, que deux de ces cellules occupées à la fois.

On m’ouvrit la porte du milieu. C’était celle du cachot habité en ce moment.

J’entrai.

Au moment où j’entrai, un homme se leva vivement et resta debout.

Cet homme était au fond de la chambre. Ce fut lui que je vis d’abord. Un jour blafard qui tombait d’une large fenêtre à hotte placée au-dessus de sa tête l’éclairait par derrière. Il avait la tête nue, le col nu, des chaussons aux pieds, un pantalon de laine brune et la camisole. Les manches de cette camisole de grosse toile grise étaient nouées par devant. À travers cette toile on distinguait sa main qui tenait une pipe toute bourrée. Il allait allumer cette pipe à l’instant où la porte s’était ouverte. C’était le condamné.

On ne voyait par la fenêtre qu’un peu de ciel pluvieux.

Il y eut un moment de silence. J’éprouvais trop d’émotions à la fois pour pouvoir parler.

C’était un jeune homme, il n’avait évidemment pas plus de vingt-deux ou vingt-trois ans. Ses cheveux, châtains et naturellement frisés, étaient coupés courts ; sa barbe n’était pas faite. Il avait les yeux grands et beaux, mais le regard petit et vilain, le nez écrasé, les tempes proéminentes, les os de derrière l’oreille larges, ce qui est mauvais signe, le front bas, la bouche laide, et, à gauche, au bas de la joue, ce gonflement particulier que donne l’angoisse. Il était pâle. Toute cette figure était bouleversée ; cependant, à notre entrée, il s’efforça de sourire.

Il était debout, il avait à sa gauche son lit, une espèce de grabat en désordre sur lequel il était probablement étendu le moment d’auparavant, et à sa droite une petite table de bois barbouillée en jaune ayant pour dessus une planche peinte en marbre Sainte-Anne. Sur cette table il y avait des écuelles de grosse terre vernie contenant des légumes cuits à l’eau et un peu de viande, un morceau de pain et une blague de cuir pleine de tabac à fumer et ouverte. Une chaise de paille était à côté de la table.

Ce n’était plus ici l’effrayant cabanon des condamnés de la Conciergerie. C’était une chambre assez vaste, assez claire, badigeonnée en jaune, meublée de ce lit, de cette chaise, de cette table, d’un poêle en faïence qui était à notre gauche, d’une planche ajustée à un angle du mur vis-à-vis la fenêtre