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saluait les pairs à droite et les députés à gauche. Il s’arrêtait un moment dans la salle du trône et échangeait quelques bonjours avec les membres des deux dépurations. Puis il entrait dans la grande salle.

Le discours du trône était écrit sur parchemin recto et verso, et tenait en général quatre pages. Le roi le lisait d’une voix ferme et de bonne compagnie.

Le maréchal Soult était à cette séance, tout resplendissant de plaques, de cordons et de broderies, et se plaignant de ses rhumatismes. M. le chancelier Pasquier n’y vint pas, s’excusant sur le froid et sur ses quatre-vingts ans. Il était venu l’année d’auparavant. Ce fut la dernière fois.

En 1847, j’étais de la grande dépuration.

Pendant que je me promenais dans le salon d’attente, causant avec M. Villemain, de Cracovie, des traités de Vienne et de la frontière du Rhin, j’entendais bourdonner les groupes autour de moi, et des lambeaux de toutes les conversations m’arrivaient.

M. le général comte de Lagrange. — Ah ! voici le maréchal (Soult).

Le baron Pèdre Lacaze. — Il se fait vieux.

Le vicomte Cavaignac. — Soixante-dix neuf ans.

Le marquis de Raigecourt. — Quel est le doyen de la Chambre des pairs en ce moment ?

Le duc de Trévise. — N’est-ce pas M. de Pontécoulant ?

Le marquis de Laplace. — Non, c’est le président Boyer. Il a quatre-vingt-douze ans.

Le président Barthe. — Passés.

Le baron d’Oberlin. — Il ne vient plus à la Chambre.

M. Viennet. — On dit que M. Rossi revient de Rome.

Le duc de Fésenzac. — Ma foi ! je le plains de quitter Rome. C’est la plus belle et la plus aimable ville du monde. J’espère bien y finir mes jours.

Le comte de Montalembert. — Et Naples !

Le baron Thénard. — Je préfère Naples.

M. Fulchiron. — Oui, parlez-moi de Naples. Eh, mon Dieu ! j’y étais quand ce pauvre Nourrit s’est tué. Je logeais dans une maison voisine de la sienne.

Le baron Charles Dupin. — Il s’est tué volontairement ; ce n’est pas un accident ?

M. Fulchiron. — Oh ! c’est bien un suicide. On l’avait sifflé la veille. Il n’a pu supporter cela. C’était dans un opéra fait exprès pour lui et intitulé Polyeucte. Il s’est jeté de soixante pieds de haut. Son chant ne plaisait pas à ce public-là. Nourrit était trop accoutumé à chanter Gluck et Mozart. Les Napolitains disaient de lui : Vecchio canto.

Le baron Dupin. — Pauvre Nourrit ! que n’a-t-il attendu ! Duprez n’a