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II


M. de Sèze, le défenseur de Louis XVI, avait passé à Ferney dans sa jeunesse. Il fit dire à M. de Voltaire qu’un avocat au parlement de Bordeaux sollicitait l’honneur de le voir. M. de Voltaire y consentit et dit de fort belle humeur : — Qu’on fasse entrer M. l’avocat au parlement de Bordeaux.

Au moment où M. de Sèze fut introduit dans la cour de Ferney, il aperçut sur le perron un vieillard coiffé d’un bonnet de fourrure et enveloppé d’une vaste robe de chambre à collet fourré. C’était M. de Voltaire. Les yeux brillants illuminaient sa mine chafouine au milieu de tout ce poil. Du plus loin qu’il vit M. de Sèze, il lui cria : Hé ! soyez le bienvenu, Monsieur l’avocat. J’aime le talent même chez les avocats. Vous devez plaire aux belles dames et faire des vers galants, n’est-ce pas ?

Quand on est comme vous, et qu’on est bourdelois,
De Phébus et d’amour on doit suivre les lois.


III


M. de Voltaire voulait que ses servantes crussent en Dieu. Un jour à Ferney il avait à dîner sept ou huit philosophes. Quatre ou cinq belles Suissesses servaient à table. Entre la poire et le fromage le marquis d’Argout se prit à nier l’âme et le baron d’Holbach à nier Dieu. — Assez, messieurs ! dit Voltaire, si Dieu n’est pas, la femme existe. Et, se tournant vers les servantes : — Fermez les oreilles et montrez les talons.