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Il n’a pas, comme le feu duc d’Orléans, la coquetterie princière, qui est une grâce si victorieuse, et le désir d’être agréable. Il cherche peu à plaire aux individus. Il aime la nation, le pays, son état, la mer. Il a des manières franches, le goût des plaisirs bruyants, une belle taille, une belle figure, quelques faits d’armes qu’on a exagérés, de l’esprit, du cœur ; il est populaire.

M. de Nemours est tout le contraire. On dit à la cour : — M. le duc de Nemours a du guignon.

M. de Montpensier a le bon esprit d’aimer, d’estimer et d’honorer profondément Mme  la duchesse d’Orléans.

L’autre jour, il y eut bal masqué et costumé aux Tuileries, mais seulement dans la famille et le cercle intime, entre princesses et dames d’honneur. M. de Joinville y vint tout déguenillé, en costume Chicard complet. Il y fut d’une gaîté violente, et fit mille danses inouïes. Ces cabrioles, prohibées ailleurs, faisaient rêver la reine. — Mais où donc a-t-il appris tout cela ? — disait-elle. Puis elle ajoutait : — Les vilaines danses ! fi ! — Puis elle reprenait tout bas : — Comme il a de la grâce !

Mme  de Joinville était en débardeur et affectait des allures de titi. Elle était charmante et fort délurée. — Je l’élève, — disait le prince de Joinville. Elle va volontiers à ce que la cour exècre le plus, aux spectacles des boulevards !

Elle a, l’autre jour, fort scandalisé Mme  de Hall, femme d’un amiral, protestante fort puritaine, en lui demandant : — Madame, avez-vous vu la Closerie des genêts ?




V


1847.

M. le prince de Joinville avait imaginé une scie qui exaspérait la reine. C’était un vieil orgue de Barbarie qu’il s’était procuré. Il arrivait chez la reine jouant de cet orgue en chantant des chansons enrouées. Le tout était hideux. La reine commençait par rire. Puis cela durait un quart d’heure, une demi-heure. — Joinville, finis ! — La chose continuait. — Joinville, va-t’en ! — Le prince, chassé par une porte, rentrait par l’autre avec son orgue, ses chansons et son enrouement. La reine finissait par s’enfuir chez le roi.

Mme  la duchesse d’Aumale parlait malaisément français ; mais, dès qu’elle se mettait à parler italien, l’italien de Naples, elle tressaillait comme le poisson qui retombe dans l’eau, et se mettait à gesticuler avec toute la verve napolitaine. — Mets donc tes mains dans tes poches, lui criait M. le duc