Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Douze ans, Monsieur.

— Qu’est-ce que tu as fait pour être ici ?

— J’ai pris des pêches.

— Où ça ?

— Dans un jardin, à Montreuil.

— Tout seul ?

— Non, avec mon camarade.

— Où est ton camarade ?

Il me désigna l’autre, vêtu comme lui de la bure brune des prisons, et un peu plus grand, et me dit :

— C’est lui.

— Vous avez donc escaladé un mur ?

— Non, Monsieur, les pêches étaient par terre, sur le chemin.

— Vous n’avez fait que vous baisser ?

— Oui, Monsieur.

— Et les ramasser ?

— Oui, Monsieur.

Ici, M. Lebel se pencha à mon oreille et me dit :

— On lui a déjà fait sa leçon.

Il était du reste évident que l’enfant mentait. Son regard n’avait ni fermeté, ni candeur. Il me considérait en dessous, comme un fripon examine une dupe, et ayant de plus cet air charmé d’un enfant qui fait sa dupe d’un homme.

— Petit, repris-je, tu ne dis pas la vérité.

Si, Monsieur.

Ce si, Monsieur fut dit avec cette impudence dans laquelle on sent que tout manque, même l’assurance. Il ajouta hardiment :

— Et pour cela, on m’a condamné à trois ans, mais j’en rappelle.

— Tes parents ne t’ont donc pas réclamé ?

— Non, Monsieur.

— Et ton camarade, est-il condamné ?

— Non, ses parents l’ont réclamé.

— Il est donc meilleur que toi ?

L’enfant baissa la tête.

M. Lebel me dit :

— Il est condamné à passer trois ans dans une maison de correction pour y être élevé ; — acquitté, du reste, comme n’ayant pas agi avec discernement. Le malheur et le regret de tous ces petits vauriens, c’est de n’avoir pas seize ans. Ils font mille efforts pour persuader à la justice qu’ils ont seize ans, et qu’ils sont coupables avec discernement. En effet, seize ans et un jour, leurs